Babyzen : « Sans la propriété intellectuelle, il est impossible de se défendre de la contrefaçon »
> Quel est l’ampleur du phénomène de contrefaçon ?
Julien Chaudeurge : La Yoyo est la poussette actuellement la plus copiée au monde ! Nous estimons à environ une vingtaine le nombre de modèles de copies apparus sur le marché, et à plusieurs centaines de milliers les copies écoulées depuis leur apparition. Beaucoup nous ont dit que ces chiffres traduisaient la petite révolution introduite par notre produit. C’est pourtant loin d’être une bonne nouvelle quand on les découvre.
> Quelle a été votre réponse à l’apparition de ces produits contrefaits ?
J. C. : Sans la protection de la propriété intellectuelle, il est impossible de se défendre de la contrefaçon. Dès le lancement de la Yoyo, notre politique tournée vers l’export nous avait conduits à déposer nos principaux brevets techniques — dont celui qui concerne le pliage des roues —, dans un certain nombre de pays y compris la Chine.
Heureusement, la Chine a créé au cours des dernières années des cours spécifiques à la propriété intellectuelle (à Canton et à Shanghai), dotés de juges spécialisés. Nous avons fait le choix d’attaquer systématiquement les contrefacteurs chinois. Au prix de frais très importants pour embaucher notamment des détectives privés et des cabinets d’avocats spécialisés. En 2015 et 2016, 5 % de notre chiffre d’affaires a été consacré à la protection et à la défense de la propriété intellectuelle. Mais les procédures sont très longues et pendant ce temps les copies continuent d’inonder le marché.
> Où en êtes-vous aujourd’hui ?
J. C. : Nos démarches commencent seulement à porter leurs fruits : nous gagnons nos premiers procès portant sur la contrefaçon de nos brevets techniques. Il faut compter environ quatre ans pour voir ces démarches aboutir : environ six mois pour que les autorités chinoises analysent la conformité de votre produit avec le brevet déposé et six autres mois pour analyser et constater l’utilisation du même brevet par le contrefacteur. Il se déroule encore à peu près un an avant que le juge statue. Sans compter l’appel, auquel les contrefacteurs ont systématiquement recours, même s’ils sont quasiment certains de perdre à la fin. Il s’agit d’une stratégie de leur part pour jouer la montre : tant que l’appel n’est pas perdu, ils continuent à écouler leurs modèles contrefaits. Pour eux, c’est un véritable « business model ». Les contrefacteurs les plus importants étudient même précisément notre portefeuille de titres à l’étranger pour s’attaquer aux marchés où nous ne sommes pas présents – cela a été le cas pour la Thaïlande, le Vietnam et la Malaisie – ou à ceux moins regardants vis-à-vis de la contrefaçon, comme l’Ukraine et la Russie.
> Malgré les difficultés et longueurs des procédures, vous recommandez fermement la lutte anticontrefaçon, pourquoi ?
J. C. : Nos démarches judiciaires nous coûtent vraisemblablement plus cher qu’elles nous rapportent, mais il s’agit d’une question de principe. La contrefaçon est un fléau : si vous achetez un faux sac de luxe, vous savez que ce n’est pas bien, mais vous risquez tout au plus de voir le contenu de votre sac tomber par terre. Dans le cas d’une poussette contrefaite, il y a le même risque de casse, mais aussi des risques d’étranglement pour une sangle trop longue ou d’intoxication si la peau de votre enfant est en contact direct avec un tissu contenant des substances toxiques.
Nous doublons donc nos démarches judiciaires d’un travail de pédagogie auprès des consommateurs sur l’importance d’acheter les produits d’origine. Depuis quelques années, on voit apparaître en Chine une classe émergente, au pouvoir d’achat important et qui voyage de plus en plus. Après plusieurs scandales, dont celui du lait infantile frelaté, cette population ne souhaite plus faire les frais de la contrefaçon. Nous adoptons ainsi également une démarche commerciale leur donnant la garantie d’acheter le produit original. Le site Tmall par exemple, principal site marchand chinois, propose désormais un flagship Babyzen : un portail qui permet aux consommateurs chinois d’acheter une poussette Yoyo 100 % authentique.
> Quels conseils donneriez-vous aux entreprises exposées à la contrefaçon ?
J. C. : Je leur conseillerais d’entamer des démarches de propriété intellectuelle avant même la commercialisation d’un produit. Mais également d’éviter certaines erreurs que nous avons commises… La première a été de ne pas déposer le modèle de la Yoyo en Chine et de ne déposer que les brevets techniques. Pourtant, nous possédions un design très spécifique qui est aujourd’hui mondialement reconnu. Ce qui a offert aux contrefacteurs la possibilité de reproduire notre modèle à l’identique. Et une fois les premières copies en circulation, il était trop tard. Impossible d’attaquer les contrefacteurs sur la copie du design. Deuxième erreur, nous pensions que le nom Yoyo était suffisamment international et nous n’avons pas déposé le nom en idéogrammes chinois. Or, pour un Chinois, Yoya ou Yuyu sont extrêmement différents de Yoyo. Nous nous sommes donc retrouvés avec des copies portant des noms très proches, voire des logos quasiment identiques à une lettre près. Là encore, impossible d’attaquer. Nous en avons tiré les leçons et déposons à présent systématiquement brevet, modèle et noms à l’international.
> Avez-vous sollicité l’aide de l’INPI ?
J. C. : Très rapidement, dès 2012, nous avons été contactés par la déléguée régionale de l’INPI en PACA qui s’est intéressée à notre développement ciblé sur l’international et la problématique de propriété intellectuelle qui en découlait. Elle nous a alors mis en relation avec l’expert de l’INPI détaché auprès de l’ambassade de France à Pékin. Celui-ci nous a soutenus auprès des cours chinoises, notamment lorsque nous avons été soumis à des procédures abusives : l’un des contrefacteurs qui avait reproduit notre modèle à l’identique, avait déposé de son côté des parties de la Yoyo que nous n’avions pas protégées et nous attaquait ! L’intervention de l’État français nous a permis de rétablir l’antériorité de notre modèle et d’écarter cette procédure qui, encore une fois, avait été lancée dans le seul but de gagner du temps. L’aide de l’INPI et de la diplomatie française s’inscrit dans un cadre plus large d’aides de l’État en faveur des entreprises qui se développent à l’étranger. Outre le soutien de l’INPI, nous avons ainsi reçu aussi très tôt celui de la Direccte (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi) et des douanes. Des soutiens essentiels face aux défis posés par la contrefaçon qui dépassent le seul cadre de la propriété intellectuelle et qui impliquent aussi la protection de nos réseaux informatiques par exemple. S’attaquer à la contrefaçon, c’est s’attaquer au grand banditisme, il faut être vigilant.