Déglon : fine lame de l’innovation à la française

Implantée depuis 1921 à Thiers, la société Déglon perpétue une tradition et un savoir-faire auvergnats dans la coutellerie, tout en s’adaptant aux exigences d’une économie mondialisée. Depuis l’obtention de son Trophée INPI en 2008 dans la catégorie design, l’entreprise, spécialiste du couteau moyen et haut de gamme à destination des professionnels et des gourmets, poursuit son développement fondé sur une stratégie d’innovation et d’ouverture à de nouveaux marchés. Entretien avec Dominique Lazime, directeur technique et administratif de la PME.

> Comment se caractérise votre politique d’innovation ?

Dominique Lazime : Notre démarche porte aujourd’hui sur une notion de design et d’ergonomie d’utilisation, en direction du grand public comme des professionnels (75 % du chiffre d’affaires). Nous avons par exemple sorti une gamme de couteaux semi-professionnelle il y a deux ans, « Génération Y », avec des codes de design inédits : un manche en forme de galet comme sur un couteau à dépecer, allié à une lame de chef à la fois large et très fine. Ce choix géométrique crée un angle de coupe naturellement très aigu qui permet une coupe très fine et durable. La prise en main est très ergonomique et le couteau léger. De plus, sa production est économe en matières premières, ce qui correspond à notre démarche durable. Sur les gammes professionnelles, nous avons réfléchi à une ergonomie adaptée aux différentes exigences des utilisateurs. Pour cela, nous collaborons avec un cabinet de conseil en innovation à l’usage. Celle-ci est fondée sur l’observation des utilisateurs de nos couteaux dans différents contextes. Prenons l’exemple de la coupe de poisson : la performance des outils diffère selon que l’on se trouve dans une usine de poissons, dans un atelier de préparation, dans un lieu de vente ou chez un particulier. Nous observons donc l’ensemble de ces usages et adaptons nos produits. Cette démarche est assez récente et nous allons certainement l’amplifier dans les années à venir. Cela implique que nous tissions des liens étroits avec les utilisateurs finaux et avec les intermédiaires afin de connaître de manière plus approfondie les filières auxquelles sont destinés nos produits.
Mais au-delà de cela, l’innovation est, à mon sens, un état d’esprit. Celui-ci doit être insufflé par la direction et relayé non par un service dédié mais par l’ensemble des salariés. C’est dans un cadre de stimulation générale que peut intervenir l’innovation. À nous de ne pas la limiter aux produits mais à tous les services. Notre rôle de dirigeants consiste à écouter la personne qui suggère une idée et à la valoriser ou l’écarter si elle n’est pas viable. Cela demande une capacité de pilotage humain suffisamment fine qui va au-delà de la seule organisation de l’entreprise.  

> Votre stratégie de protection est-elle toujours aussi active ?

D. L. : Plus que jamais ! Nous continuons à protéger nos créations. Nous avons recours à l’enveloppe Soleau dès l’apparition d’une nouvelle idée. Puis, assez rapidement, lorsque le modèle est arrêté, notamment dans le processus d’industrialisation, nous déposons généralement celui-ci et élargissons ce dépôt à l’Union européenne. Il nous arrive également de déposer nos modèles en Chine.

> Comment traiter le sujet de la contrefaçon chez Déglon ?

D. L. : La contrefaçon nous pose en effet un problème délicat. En Europe, les acteurs jouent le jeu, il y a peu de contrefaçon servile. Dans le reste du monde, et plus particulièrement en Chine, c’est plus difficile : nous sommes connus des contrefacteurs, nos nouveautés sont surveillées et elles sont rapidement reproduites, dans une qualité souvent très médiocre. C’est le cas de notre gamme Meeting, un bloc de couteaux emboîtés les uns dans les autres, très innovant dans son design. Ce produit a été contrefait plusieurs fois. Grâce au soutien d’un cabinet de conseil et à l’envoi de quelques courriers sévères, nous avons réussi à faire retirer ces produits. Avant d’engager une action, il faut estimer son coût en fonction du préjudice lié à la contrefaçon, notamment le manque à gagner sur le chiffre d’affaires. De même, pour les zones à risque : il nous arrive d’y déposer des modèles très innovants mais c’est vrai que nous restons timides sur ces marchés-là.  

> Comment une entreprise familiale s’adapte-t-elle à une économie globalisée ?

D. L. : La principale difficulté que nous rencontrons aujourd’hui consiste à pénétrer des marchés nouveaux. Malgré tous nos efforts, nos forces, à l’échelle d’une PME, sont réduites. Or, le développement de l’entreprise passe par un développement de l’export qui représente aujourd’hui 25 % de notre chiffre d’affaires. Cependant, dans une société bientôt centenaire comme la nôtre, nous pouvons nous permettre de travailler sur une notion d’authenticité, de maîtrise des bonnes pratiques, des territoires et de la nature et sur la fonctionnalité des produits. Toutes ces valeurs sont portées par l’histoire et par un ancrage local. C’est d’autant plus vrai que le couteau est un produit qui répond à une tendance actuelle des « locavores » : une démarche par laquelle le consommateur devient de plus en plus acteur de ses achats. Une personne qui achète un panier dans une Amap va devoir préparer et couper le lapin qu’elle a reçu. Cette tendance, également renforcée par le succès des émissions culinaires, va dans le sens du produit que nous proposons. C’est d’ailleurs dans cet esprit de responsabilisation du producteur et du consommateur que nous avons participé à une opération « gueules cassées » qui consiste à donner une seconde vie à des couteaux possédant un léger défaut et à les vendre malgré tout, à un prix moindre.