Comment la 3D questionne-t-elle la propriété intellectuelle ?

Mythe ou réalité ? Évolution technologique ou révolution industrielle ? La 3D fascine autant qu’elle interroge. Elle est en tout cas un vrai défi en matière de propriété intellectuelle.

QUELQUES REPÈRES
Selon le cabinet d’études Xerfi, le marché mondial de l’impression 3D va passer de 2,8 milliards d’euros en 2014 à 8,5 milliards en 2020. Selon l’OCDE, l’arrivée de l’impression 3D va occasionner une perte de 100 milliards de dollars par an pour les titulaires de droits de propriété industrielle. 93 % des industriels de la plasturgie et des composites déclarent ne pas connaître la législation en matière d’impression 3D selon une étude effectuée en 2016 par Innovation Plasturgie Composites, le centre d’expertise et d’innovation de la filière.

Imprimer une voiture en 3D, produire des prothèses dentaires personnalisées à moindre coût ou recréer du tissu biologique humain ne semble pas un rêve lointain, grâce à l’impression 3D — ce mode de fabrication dit « additive » par dépôt de matière couche par couche. Cette nouvelle technologie apparaît en effet comme une révolution permettant de concevoir, fabriquer et prototyper beaucoup plus rapidement qu’auparavant. Après quelques années d’un fort engouement, il semble néanmoins que son adoption soit plus lente que prévu. Si les entreprises semblent l’utiliser de plus en plus, pour le prototypage notamment, les particuliers demeurent freinés par le prix et la complexité des imprimantes. Mais même si la 3D demeure encore assez marginale, elle pose déjà des questions de fond concernant la propriété industrielle. Comment lutter contre la contrefaçon lorsque la copie devient beaucoup plus facile ? Et comment conserver la qualité des produits ? Qui est responsable de quoi ? Le point sur ce dossier délicat.

INTERVIEW : LES ENJEUX JURIDIQUES AUTOUR DE L’IMPRESSION 3D
Fatima Ghilassène est juriste et chargée d’études à l’INPI. Elle est l’auteure de deux rapports : le premier a été réalisé pour le compte de l’INPI et porte sur les impacts économiques et les enjeux juridiques de l’impression 3D. Le second a été rédigé pour le compte du CNAC (Comité national anti-contrefaçon) et traite de l’opportunité de l’extension de la redevance pour copie privée aux matériels de l’impression 3D.

> Quelles sont les questions juridiques posées par l'impression 3D ? 
Fatima Ghilassène : L’impression 3D questionne l’ensemble des droits de propriété intellectuelle : droit d’auteur, brevet, marque, dessin et modèle. Nous avons commencé à nous intéresser aux enjeux juridiques de l’impression 3D il y a trois ans, parce que les médias annonçaient l’arrivée massive sur le marché grand public d’imprimantes 3D. L’accès du grand public aux imprimantes 3D impliquait la possibilité pour tous de reproduire n’importe quel objet, y compris ceux protégés par des droits de propriété intellectuelle. Se posait la question de savoir si l’exception pour copie privée pouvait s’appliquer, auquel cas la redevance pour copie privée devait être étendue aux matériels de l’impression 3D. À la demande du sénateur Richard Yung, auteur d’une proposition d’amendement dans le cadre de la loi Macron sur ce sujet, un groupe de travail a été formé par le CNAC et chargé d’examiner l’opportunité d’une telle redevance.

La rémunération pour copie privée
La loi du 3 juillet 1985 impose une rémunération forfaitaire aux distributeurs et importateurs de supports d’enregistrement afin de compenser le manque à gagner subi par les créateurs et les auteurs. En 2001, une directive européenne accorde aux États membres la possibilité de prévoir des exceptions ou des limitations aux droits de reproduction à condition de mettre en place une compensation équitable pour les titulaires de ces droits. L’exception pour copie privée est subordonnée à trois conditions : la copie est réalisée par une personne physique pour un usage privé ; il s’agit d’un cas spécial et exceptionnel ; la copie ne cause pas de préjudice aux intérêts des titulaires des droits.

> Quelle a été la conclusion de ce groupe de travail sur l'opportunité de mettre en place une redevance pour copie privée ?
F. G. : Nous avons constaté que le marché de l’impression 3D pour les particuliers demeurait très marginal. Pour le moment, l’utilisation des imprimantes 3D est professionnelle. Les entreprises se servent de cette technologie pour le prototypage et la fabrication en petites séries. Une taxe pour copie privée ne nous paraît donc pas opportune à ce stade. Quand le marché pour particuliers se développera, la question se posera à nouveau. Tout comme celle de la sécurité des consommateurs. Les petites imprimantes utilisent du plastique qui peut avoir des effets nocifs sur la santé. Il faudra donc déterminer qui est responsable en cas de produits défectueux, selon le Code de consommation.

> Qu'en est-il du statut des plateformes qui proposent aux consommateurs soit des fichiers numériques pour imprimer leurs objets, soit des services d'impression ?
F. G. : Pour ne pas avoir à vérifier la liberté d’exploitation des fichiers utilisés, ces plateformes revendiquent le statut de simples hébergeurs proposant uniquement un service technique. Elles disposent ainsi d’un régime de responsabilité allégée. Dans les faits, on constate que souvent elles exercent également l’activité d’éditeur. Pour l’instant, il n’y a pas encore eu de contentieux sur ce point. La loi pour une République numérique d’Axelle Lemaire du 7 octobre 2016 constitue une première clarification. Elle inscrit dans le code de la consommation une obligation de loyauté pour les plateformes de service numérique. Celles-ci doivent délivrer une « information loyale, claire et transparente » sur leurs conditions d’utilisation. Par ailleurs, le Conseil d’État a suggéré la création d’un statut intermédiaire entre éditeur et hébergeur. Enfin, une consultation européenne est en cours sur ce sujet mais n’a pas encore abouti.

LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DANS LES FAB LABS (Fabrication Laboratories)
Sabine Diwo-Allain, chargée de mission innovation à Angers Technopole et auteure d’un article pour l’INPI sur ce sujet définit les Fab Labs comme « des plateformes ouvertes de création numérique permettant le libre accès à des logiciels de conception et des machines de fabrication à commande numérique ». Ces plateformes destinées aussi bien au grand public qu’aux étudiants ou aux entrepreneurs fonctionnent sur le principe de la communauté des savoirs et de l’apprentissage par les pairs. Des questions en matière de propriété intellectuelle se posent. Par exemple, si un artiste crée une petite série à des fins de commercialisation, doit-il renoncer à ses droits d’auteur pour permettre la reproduction de son œuvre ? « Si cette série est réalisée en Open Lab avec d’autres personnes, la réponse est a priori positive ; en revanche, si elle l’est par lui et qu’il se contente de louer les services de la plateforme, il n’aura pas à y renoncer » explique Sabine Diwo-Allain. Autre exemple, si un bricoleur utilise le Fab Lab pour reproduire une pièce cassée, on pourrait penser qu’il n’y a pas contrefaçon puisqu’il agit à des fins privées et non commerciales. Sauf qu’il est censé mettre à disposition les plans de fabrication de l’objet à la communauté d’utilisateurs... Pour l’instant, il n’existe pas de contentieux sur ce thème car l’usage de l’imprimante 3D reste majoritairement celui d’entreprises qui louent les services de la plateforme. « À terme, les Fab Labs devront faire un travail de sensibilisation de leurs utilisateurs aux enjeux de propriété intellectuelle », conclut Sabine Diwo-Allain.