Le rôle du brevet dans les inventions utilisant l’intelligence artificielle

Au cours des dix dernières années, le nombre de brevets liés à l'intelligence artificielle (IA) a considérablement augmenté et concerne divers secteurs (robotique, transports, télécommunications, etc.). D’après un rapport de l’OMPI publié en juillet dernier*, 54 000 inventions dans le domaine de l’intelligence artificielle générative au cours de la décennie qui s’est achevée en 2023, dont plus de 25 %, ont vu le jour durant la seule dernière année. Elles ne représentent que 6 % de l’ensemble des brevets portant sur l’intelligence artificielle à travers le monde. Si un programme d’IA ne peut être reconnu comme inventeur, cela ne signifie pas qu’une invention ayant recours à l’IA n’est pas brevetable. Ainsi, pour que le système des brevets s’adapte aux avancées technologiques, l’établissement de critères spécifiques et de cadres juridiques appropriés sont indispensables. Wiem Samoud, examinatrice brevets à l’INPI, nous éclaire sur ces enjeux.
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Quelles sont les contraintes à respecter pour obtenir un brevet concernant une invention qui utilise l’IA ?

W. Samoud : Basée sur des modèles de calcul, l'intelligence artificielle est considérée par définition comme une méthode mathématique mise en œuvre par ordinateur. Ainsi, lorsqu'elle est revendiquée comme telle, l’IA ne peut être considérée comme une invention au sens de l'article L.611-10 du Code de la propriété industrielle.

Pour qu’une invention ayant recours à l’IA soit brevetable, l’IA doit contribuer au caractère technique d'une invention, en fournissant une solution technique à un problème technique par des moyens techniques non génériques ou par le traitement de données techniques mesurées.

Sont considérées comme techniques, par exemple :

  • Les inventions relatives au traitement, à la reconnaissance et/ou la classification d'images et/ou de vidéos (exemple : la reconnaissance de l'environnement d'un véhicule autonome sur la base de données obtenues à partir de capteurs) ; ou l'utilisation de l'IA pour analyser des images numériques afin de reconnaître un incident (exemple : reconnaître une tumeur dans une série d'images)
  • Dans le domaine de la robotique et/ou des processus de surveillance et de contrôle : la commande en temps réel d'un outil de forage, sur la base des propriétés physiques mesurées dans l'environnement de forage, par l'entraînement d'un réseau de neurones
  • La classification du trafic IP (protocole Internet) entre les nœuds à l'aide de l'apprentissage automatique pour améliorer la gestion du trafic sur le réseau IP
  • L’utilisation d'un réseau neuronal dans un appareil de surveillance cardiaque pour effectuer une analyse prédictive et détecter un rythme cardiaque irrégulier

Existe-t-il des spécificités liées à l’IA dans la demande de brevet ?

W. Samoud : Une invention liée à l’IA, comme toute invention, doit satisfaire aux critères de l’article L.611-10 du Code de la propriété industrielle pour être brevetable. 
Ainsi, elle doit être nouvelle, impliquer une activité inventive (c’est-à-dire qu’elle n’est pas une solution évidente et triviale) et doit avoir une application industrielle.

En contrepartie de la protection conférée par le brevet, le Code de la propriété industrielle exige (article L.612-5) que la demande doit exposer l’invention de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter.

Ainsi, il faut à minima décrire les caractéristiques essentielles de cette IA pour qu’une personne du métier arrive à reproduire l’invention, en se basant sur le contenu de la demande du brevet et ses connaissances générales. Il convient donc d’être explicite dans sa suffisance d’exposé.

Par exemple, une demande de brevet liée à l’IA peut décrire le type de l’algorithme utilisé, la nature et la quantité de données utilisées dans la phase d’entraînement de l’IA et les critères de clôture de la phase d’entraînement.

Les inventions utilisant l’IA concernent-elles de nombreux brevets ?

W. Samoud : Le nombre de demandes de brevets liées à l’intelligence artificielle augmente de façon fulgurante partout dans le monde. L’IA peut être appliquée par des inventions dans différents domaines techniques : les technologies d’information et de communications, la santé, la mécanique, la chimie, etc.

Au niveau de l’Office européen des brevets par exemple, le nombre d’inventions relatives à l’IA ou embarquant une intelligence artificielle a été multiplié par 17 entre 2016 et 2022 :

Graphique brevets IA europe

Titre : Evolution du nombre d’inventions brevetées portant sur l’intelligence artificielle (en nombre de familles de brevets par année de publication et nombre cumulé de familles de brevets).

Source : Espacenet 2024


Ce phénomène est également remarquable au niveau national. Ainsi, le graphique ci-dessous illustre la croissance spectaculaire du nombre d’inventions dans le domaine de l’IA ayant fait l’objet d’une démarche de protection par un dépôt de brevet auprès de l’INPI. 

Graphique brevets et IA France

Titre : Evolution du nombre d’inventions brevetées portant sur l’intelligence artificielle (en nombre de familles de brevets par année de publication de la demande la plus ancienne).

Source : Derwent et traitement INPI mars 2024

* Source : Etude de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) de juillet 2023