Le designer d'aujourd'hui est-il l'inventeur d'hier ?
C'est à l'occasion de l'exposition « Invention/Design – Regards croisés » au Musée des arts et métiers*, dont il était le commissaire, que nous avons rencontré Antoine Fenoglio. Co-fondateur avec Frédéric Lecourt, il y a une vingtaine d'années, du studio de design Les Sismo, il considère que cette discipline est à un tournant de son histoire. Issu de la révolution industrielle, puis longtemps cantonné à une intervention sur « la peau des objets », le design prend maintenant une part majeure dans l'innovation et la transformation de nos sociétés. Si les méthodologies ne sont pas les mêmes, on retrouve entre l'inventeur d'hier et le designer d'aujourd'hui un même état d'esprit qui repose sur les quatre notions autour desquelles l'exposition était construite : l'essentiel, le contexte, la curiosité et l'audace.
* Exposition « Invention/Design – Regards croisés » au Musée des arts et métiers, musée du Conservatoire national des arts et métiers du 2 juin 2015 - 6 mars 2016.
INVENTION ET DESIGN : LE CAS DE L'AUTOCUISEUR
Pour faire le pont entre les grandes inventions d'hier et le travail du designer aujourd'hui, Antoine Fenoglio commence par nous parler cocotte-minute. Il explique ainsi qu'il ne s'agit pas de réinventer à chaque fois l'eau tiède... mais d'adapter le meilleur des inventions aux évolutions du monde. En l'occurrence à nos cuisines. Le digesteur de Papin, inventé à la fin du XVIIIe siècle, comportait ainsi déjà tous les éléments-clés de l'autocuiseur : une cuve, des poignées, un système de verrouillage et une soupape. En trois siècles, les designers vont intervenir sur la taille, les matériaux, les couleurs et éventuellement les usages. Des évolutions que l'on retrouve par exemple chez Seb depuis le fameux autocuiseur « Terre de feu » aux poignées et soupape de couleur jusqu'au plus récent modèle connecté. Quant à l'autocuiseur de demain, si l'objet ne sera forcément pas très différent, il sera peut-être partagé. Ce qui est l'objectif du collectif de designers Meteor Collectif, à l'origine d'autocollants à mettre sur les boîtes aux lettres qui indiquent à vos voisins ce qu'ils peuvent emprunter chez vous. Quoi qu'il en soit, il aura toujours une soupape...
Pour faire le pont entre les grandes inventions d'hier et le travail du designer aujourd'hui, Antoine Fenoglio commence par nous parler cocotte-minute. Il explique ainsi qu'il ne s'agit pas de réinventer à chaque fois l'eau tiède... mais d'adapter le meilleur des inventions aux évolutions du monde. En l'occurrence à nos cuisines. Le digesteur de Papin, inventé à la fin du XVIIIe siècle, comportait ainsi déjà tous les éléments-clés de l'autocuiseur : une cuve, des poignées, un système de verrouillage et une soupape. En trois siècles, les designers vont intervenir sur la taille, les matériaux, les couleurs et éventuellement les usages. Des évolutions que l'on retrouve par exemple chez Seb depuis le fameux autocuiseur « Terre de feu » aux poignées et soupape de couleur jusqu'au plus récent modèle connecté. Quant à l'autocuiseur de demain, si l'objet ne sera forcément pas très différent, il sera peut-être partagé. Ce qui est l'objectif du collectif de designers Meteor Collectif, à l'origine d'autocollants à mettre sur les boîtes aux lettres qui indiquent à vos voisins ce qu'ils peuvent emprunter chez vous. Quoi qu'il en soit, il aura toujours une soupape...
1. L'ESSENTIEL
La notion d'essentiel peut renvoyer dans le design à la simplicité fonctionnelle ou formelle. À la recherche de l'épure en somme. Antoine Fenoglio le résume avec une jolie formule : « Il s'agit de dessiner avec une gomme. » Et aller droit au but, c'est parfois remettre à plat le cahier des charges d'un produit. D'un lit d'urgence par exemple avec l'objectif de garder son usage mais d'en effacer les défauts comme son poids, la nécessité de le laver et ses coûts de fabrication. Un pari brillamment relevé avec le lit pliable en carton recyclé du studio NOCC.
La notion d'essentiel peut renvoyer dans le design à la simplicité fonctionnelle ou formelle. À la recherche de l'épure en somme. Antoine Fenoglio le résume avec une jolie formule : « Il s'agit de dessiner avec une gomme. » Et aller droit au but, c'est parfois remettre à plat le cahier des charges d'un produit. D'un lit d'urgence par exemple avec l'objectif de garder son usage mais d'en effacer les défauts comme son poids, la nécessité de le laver et ses coûts de fabrication. Un pari brillamment relevé avec le lit pliable en carton recyclé du studio NOCC.
Lit LeafBed / Studio NOOC – 2011 / Centre national des arts plastiques
2. LE CONTEXTE
Contrairement à l'artiste qui peut se permettre de ne répondre qu'à sa nécessité de créer, le designer doit prendre en compte le contexte social, économique, technologique ou environnemental. C'est d'autant plus vrai que son périmètre d'intervention s'élargit avec le temps. Ce qui l'amène d'ailleurs souvent à faire appel à d'autres disciplines, de l'ethnographie aux mathématiques. Antoine Fenoglio, patron d'une agence de design, va plus loin : « Il ne me viendrait plus à l'idée aujourd'hui d'embaucher un designer qui ne serait que designer.» Pour illustrer cette notion, il prend l'exemple de la citerne « Hippo Water Roller » [voire diaporama en bas de page]. En forme de brouette, elle permet de déplacer plus facilement jusqu'à 90 litres d'eau. Une qualité de taille quand on sait que dans les zones rurales des pays du Sud sans eau courante, ce sont souvent les femmes et les enfants qui sont chargés d'aller chercher l'eau. De plus, sa fabrication par rotomoulage (sans colle ni soudure) réduit les coûts de fabrication.
Contrairement à l'artiste qui peut se permettre de ne répondre qu'à sa nécessité de créer, le designer doit prendre en compte le contexte social, économique, technologique ou environnemental. C'est d'autant plus vrai que son périmètre d'intervention s'élargit avec le temps. Ce qui l'amène d'ailleurs souvent à faire appel à d'autres disciplines, de l'ethnographie aux mathématiques. Antoine Fenoglio, patron d'une agence de design, va plus loin : « Il ne me viendrait plus à l'idée aujourd'hui d'embaucher un designer qui ne serait que designer.» Pour illustrer cette notion, il prend l'exemple de la citerne « Hippo Water Roller » [voire diaporama en bas de page]. En forme de brouette, elle permet de déplacer plus facilement jusqu'à 90 litres d'eau. Une qualité de taille quand on sait que dans les zones rurales des pays du Sud sans eau courante, ce sont souvent les femmes et les enfants qui sont chargés d'aller chercher l'eau. De plus, sa fabrication par rotomoulage (sans colle ni soudure) réduit les coûts de fabrication.
3. LA CURIOSITÉ
Pour Antoine Fenoglio, la curiosité est une « attitude ». C'est ce qui rend les inventeurs et les designers disponibles et ouverts à l'opportunité. En la matière, la curiosité consistant souvent à aller chercher des solutions dans des univers différents, comme Clément Ader lorsqu'il inventa l'avion en s'inspirant de ce que la nature avait déjà très bien réalisé avec la chauve-souris dite roussette des Indes... Mais les liens peuvent être encore moins évidents a priori. À l'exemple de la ligne de vêtements du créateur nippon « 132 5. Issey Miyake » [cf. diaporama], réalisée avec le studio Reality Lab et directement inspirée des travaux du mathématicien Jun Mitani. Celui-ci a développé un logiciel destiné à créer des objets tridimensionnels à partir d'une feuille de papier pliée ; un principe que les designers du projet ont adapté pour créer des patrons se transformant à leur tour en vêtements.
Enfin, Antoine Fenoglio nous cite le cas de la Polyfloss Factory [cf. diaporama] : une machine à recycler les déchets de polypropylène inspirée des machines à barbe à papa ! La laine de plastique qui en est extraite peut être utilisée brute comme isolant ou rembourrage, filée pour réaliser des textiles ou encore fondue pour créer des objets du quotidien (voir le chapeau). Un projet qui est par ailleurs, d'après le commissaire d'exposition, représentatif à plus d'un titre du design thinking — une méthodologie contemporaine d'innovation par le design :
1/ Le premier prototype a été fabriqué très vite.
2/ Les suivants ont été réalisés par itération en amélioration continue. À tel point que le modèle final n'a même jamais été dessiné !
3/ Ses créateurs, sans idée préconçue sur la finalité du projet, ont fait confiance aux gens pour trouver à leur tour comment utiliser cette laine de plastique.
4/ Enfin, ils n'ont pas cherché à le faire industrialiser. Les plans sont disponibles en open source, leur modèle économique tournant autour du service.
Pour Antoine Fenoglio, la curiosité est une « attitude ». C'est ce qui rend les inventeurs et les designers disponibles et ouverts à l'opportunité. En la matière, la curiosité consistant souvent à aller chercher des solutions dans des univers différents, comme Clément Ader lorsqu'il inventa l'avion en s'inspirant de ce que la nature avait déjà très bien réalisé avec la chauve-souris dite roussette des Indes... Mais les liens peuvent être encore moins évidents a priori. À l'exemple de la ligne de vêtements du créateur nippon « 132 5. Issey Miyake » [cf. diaporama], réalisée avec le studio Reality Lab et directement inspirée des travaux du mathématicien Jun Mitani. Celui-ci a développé un logiciel destiné à créer des objets tridimensionnels à partir d'une feuille de papier pliée ; un principe que les designers du projet ont adapté pour créer des patrons se transformant à leur tour en vêtements.
Enfin, Antoine Fenoglio nous cite le cas de la Polyfloss Factory [cf. diaporama] : une machine à recycler les déchets de polypropylène inspirée des machines à barbe à papa ! La laine de plastique qui en est extraite peut être utilisée brute comme isolant ou rembourrage, filée pour réaliser des textiles ou encore fondue pour créer des objets du quotidien (voir le chapeau). Un projet qui est par ailleurs, d'après le commissaire d'exposition, représentatif à plus d'un titre du design thinking — une méthodologie contemporaine d'innovation par le design :
1/ Le premier prototype a été fabriqué très vite.
2/ Les suivants ont été réalisés par itération en amélioration continue. À tel point que le modèle final n'a même jamais été dessiné !
3/ Ses créateurs, sans idée préconçue sur la finalité du projet, ont fait confiance aux gens pour trouver à leur tour comment utiliser cette laine de plastique.
4/ Enfin, ils n'ont pas cherché à le faire industrialiser. Les plans sont disponibles en open source, leur modèle économique tournant autour du service.
4. L'AUDACE
« Si l'on demande à un designer de dessiner un pont, l'audacieux s'interrogera sur la meilleure façon de traverser la rivière » nous dit Antoine Fenoglio pour illustrer cette dernière notion. Mieux : l'audacieux est celui qui croit en une idée même si elle va à l'encontre des solutions existantes. Un convaincu. Quelqu'un capable d'entraîner toute une équipe derrière lui. Ainsi, lorsque César Harada décide, après l'accident nucléaire de Fukushima, de créer un drone marin pour dépolluer les océans [cf. diaporama], on est loin du design à la papa. D'ailleurs, la réalisation n'est même pas esthétique ! Mais ses objectifs le sont pour deux : Protei est un drone marin en forme de mini-voilier qui se déplace à la force du vent et des vagues. Sa coque est composée de plusieurs éléments articulés qui épousent la forme des vagues. Et c'est la queue accrochée à l'appareil qui capture le pétrole répandu dans l'eau. Ce drone, dont les plans sont disponibles en open source ou que l'on peut acheter en kit, peut également être équipé de capteurs pour mesurer la pollution comme la radioactivité. Dernière exemple maison : le projet « Vanité high-tech » de l'agence Sismo avec le crâne en 3D d'Antoine Fenoglio en personne ! Un travail sur l'imprimante 3D qui rend tangible ce qu'on peut aujourd'hui capter avec le numérique : en l'occurrence sa propre tête. Un clin d’œil aux vanités classiques : ces natures mortes nées au XVIIe siècle qui interrogent le sens de la vie et rappellent son caractère éphémère. Alors, autant s'amuser tant qu'on peut...
« Si l'on demande à un designer de dessiner un pont, l'audacieux s'interrogera sur la meilleure façon de traverser la rivière » nous dit Antoine Fenoglio pour illustrer cette dernière notion. Mieux : l'audacieux est celui qui croit en une idée même si elle va à l'encontre des solutions existantes. Un convaincu. Quelqu'un capable d'entraîner toute une équipe derrière lui. Ainsi, lorsque César Harada décide, après l'accident nucléaire de Fukushima, de créer un drone marin pour dépolluer les océans [cf. diaporama], on est loin du design à la papa. D'ailleurs, la réalisation n'est même pas esthétique ! Mais ses objectifs le sont pour deux : Protei est un drone marin en forme de mini-voilier qui se déplace à la force du vent et des vagues. Sa coque est composée de plusieurs éléments articulés qui épousent la forme des vagues. Et c'est la queue accrochée à l'appareil qui capture le pétrole répandu dans l'eau. Ce drone, dont les plans sont disponibles en open source ou que l'on peut acheter en kit, peut également être équipé de capteurs pour mesurer la pollution comme la radioactivité. Dernière exemple maison : le projet « Vanité high-tech » de l'agence Sismo avec le crâne en 3D d'Antoine Fenoglio en personne ! Un travail sur l'imprimante 3D qui rend tangible ce qu'on peut aujourd'hui capter avec le numérique : en l'occurrence sa propre tête. Un clin d’œil aux vanités classiques : ces natures mortes nées au XVIIe siècle qui interrogent le sens de la vie et rappellent son caractère éphémère. Alors, autant s'amuser tant qu'on peut...