3D : imprimer le monde
> Pourquoi avoir organisé en tant que centre d'art et de culture une exposition autour de cette nouvelle technologie ?
Marie-Ange Brayer : D’une part, parce qu’il s’agit d’une technologie numérique qui a bouleversé en profondeur les processus de conception et de production. D’autre part, parce qu’elle permet d’aller au-delà de l’impression 3D pour interroger une nouvelle « matérialité digitale », un même substrat numérique – logiciels de simulation numérique, langages de programmation, machines à commande numérique – que partagent désormais les artistes et les scientifiques. Au-delà d’une approche positiviste de la technologie, l’enjeu était de faire apparaître de quelle manière ces technologies dites « disruptives » avaient fait bouger les lignes et ouvert à une nouvelle complexité. Les logiciels de simulation numérique ont introduit un espace tridimensionnel au sein de la conception qui a généré une nouvelle imagerie où les formes tridimensionnelles sont la résultante de calculs. D’une manière plus générale, l’impression 3D interroge le statut de l’image à l’ère numérique.
> Comment les artistes exposés se sont-ils saisis de cette technologie ?
M-A. B. : Cette technologie numérique se situe au point de convergence entre innovation et création. Elle pose la question du rôle du créateur, impliqué désormais dans de nouveaux protocoles de conception et de production. L’appropriation de cette technologie s’avère différente selon qu’il s’agisse de designers, d’architectes ou d’artistes. Les architectes furent les premiers à s’en emparer à travers les logiciels d’architecture paramétrique dès les années 1990, comme en témoignent les démarches de précurseurs tels que Frank Gehry ou Zaha Hadid.
Dans le champ du design, l’appropriation est plus récente et a débouché sur ce qu’on a pu appeler l’« artisanat numérique ». On a vu surgir un nouvel artefact numérique au croisement de savoir-faire artisanaux et de nouvelles compétences où les designers interfèrent eux-mêmes avec les logiciels de conception et développent leurs propres machines, comme on le voit avec Olivier Van Herpt ou Dirk Vander Kooij. L’intervention du designer a trait à toute la chaîne : du choix des outils de modélisation numérique au mode de fabrication. Un des protagonistes de ce recours au numérique dans le design est le néerlandais Joris Laarman avec sa société MX3D où collaborent artisans et ingénieurs pour la réalisation d’objets innovants, comme par exemple un pont qui sera imprimé en métal par des robots à Amsterdam en 2017.
Les artistes témoignent quant à eux d’une approche réflexive de ces technologies. Achraf Touloub interroge le statut de la représentation à l’ère du numérique. Il récupère des images sur Internet – chambre à louer, image captée sur la chaîne d’Al Jazeraa, etc. – puis les dessine à la main avant de les imprimer en 3D, questionnant la dématérialisation des images et leur perpétuelle mue en « répliques » d’elles-mêmes. Les bustes en impression 3D, New Age Demanded, de Jon Rafman questionnent les archétypes de l’histoire de l’art, en même temps que les frontières perméables entre le physique et le virtuel.
> Que dit cette exposition au sujet du statut de l’auteur lorsque la création peut être reproduite industriellement et facilement ?
M-A. B. : L’exposition questionne le statut de l’auteur de multiples manières. Une forme de co-création s’est affirmée. Le designer américain Jesse Howard propose de télécharger à travers un mode d’emploi des objets « transparents » afin que chacun puisse imprimer chez soi des objets électroménagers de consommation courante pour contrer l’obsolescence programmée. Joris Laarman a développé avec la série de chaises Makers (Bits & Parts) un design participatif. Chaque chaise est comme un puzzle dont les futurs usagers peuvent assembler les pièces à travers un éventail de matériaux et de couleurs différentes qu’ils trouvent sur 3DHubs.com. L’objectif est de démocratiser la production à travers une démarche de co-design ainsi que d’arriver à une nouvelle économie partagée de la création où réside un des enjeux essentiels de l’impression 3D. Le critique David-Olivier Lartigaud évoque à ce titre la notion de « bricodage » : à savoir la programmation comme « moyen de reprendre la main » sur les objets. Les nouveaux artefacts numériques seraient ainsi comme des « objets techniques ouverts », pour extrapoler la formule du philosophe Gilbert Simondon, en code « ouvert » et en open source, soumis à un processus constant d’améliorations et d’adaptations.
Invention de la 3D : une chronologie controversée
La naissance de la technologie d’impression 3D fait débat. En octobre 1984, Charles Hull, un ingénieur américain, dépose une demande de brevet sur une machine de prototypage rapide selon un procédé baptisé stéréolithographie apparatus. Mais trois mois auparavant, Alain Le Méhauté et Olivier de Witte, deux jeunes ingénieurs de la Compagnie générale d’électricité (qui deviendra Alcatel) ont déposé à l’INPI un brevet sur une impression 3D par laser. Hélas leur entreprise cesse de payer les frais nécessaires au maintien de ce brevet et les jeunes créateurs n’ont plus les moyens de poursuivre leurs recherches.
Les dates clés entre 1986 et 2012 :
— 1986 : création de la société 3D Systems par Charles Hall après la mise au point du STL (Standard Tesselation Language), un format de fichier numérique innovant.
— 1988 : fondation de la société Stratasys par Lisa et Scott Crump pour commercialiser des machines utilisant le procédé FMD (Fused Deposition Modeling : modelage par dépôt de matière en fusion).
— 1993 : le MIT conçoit un nouveau procédé de fabrication additive reposant sur la projection de glu sur une surface de poudre. Il concède une licence d’exploitation à la société Z Corporation.
— 1996 : commercialisation des premières imprimantes 3D par 3D Systems et Z Corporation.
— 2007 : création de Shapeways, premier service en ligne d’impression 3D à destination des particuliers.
— 2012 : première imprimante personnelle, la Cube de la société 3D System.