Christian Archambeau (EUIPO) : « L’apport de l’INPI est primordial pour un renforcement du système de PI de l’UE »
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Quelle est votre vision de l’innovation en France ?
Christian Archambeau : Malgré le coût économique et humain de la pandémie de Covid-19, l’innovation en France se porte bien. Dans son tableau de bord européen de l’innovation annuel, dans lequel elle « note » les performances de chaque État membre en matière d’innovation, la Commission européenne classe la France parmi les « innovateurs notables », y compris en ce qui concerne les indicateurs liés au changement climatique. S’agissant de l’éco-innovation, notons que la France occupe la 10e position sur 28 dans le tableau de bord de l’éco-innovation et se situe légèrement au-dessus de la moyenne européenne, avec un indice de 107.
Les chiffres de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) viennent corroborer ces résultats. En l’espace de trois ans, la France a progressé de cinq places dans l’Indice mondial de l’innovation, passant de la 16e en 2019 à la 11e sur 132 en 2021.
Dans le contexte actuel, voilà qui constitue une excellente nouvelle, sachant que l’innovation est l’un des principaux moteurs de la croissance économique et de la relance. En 2021, la Commission européenne a lancé le Plan de relance pour l’Europe, le plus vaste train de mesures financières jamais adopté à l’échelon de l’UE. Celui-ci couvre des domaines comme l’innovation, l’environnement, le numérique et la résilience. L’idée d’un plan de relance doit beaucoup à l’impulsion donnée par le président Macron, qui avait l’Allemagne à ses côtés.
Si le plan de relance vise à aider les pays les plus durement touchés par la pandémie, le secteur de l’innovation française est bien placé pour tirer pleinement avantage de ce plan d’aide de plus de 800 milliards d’euros. L’Europe de l’après Covid-19 sera plus verte, plus numérique, plus résiliente et plus apte à affronter les défis présents et à venir. Au vu du dynamisme de l’écosystème européen de l’innovation, qui s’efforce de regrouper les acteurs concernés, la période actuelle est passionnante. J’évoquerai ici Station F, lancé par la France en 2017, actuellement le plus grand campus de start-up au monde.
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Quels sont selon vous les atouts de la France en matière de propriété industrielle et que peut-elle améliorer ?
C. A. : La France souhaite renforcer encore son régime de propriété intellectuelle. Avec l’ambitieuse réforme portée par la « loi PACTE » (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), qui facilitera l’accès au financement et fournira aux entreprises les ressources dont elles ont besoin pour innover, elle est sur la bonne voie. Nous ne pouvons que soutenir cette initiative dont nous suivons le développement avec grand intérêt.
Dans le contexte de la réforme législative des dessins et modèles, nous nous sommes livrés à un exercice de vérification de ce qui marchait et ce qui ne marchait pas. Cet examen "introspectif" a révélé qu'il y a dans notre registre une partie non négligeable de modèles enregistrés qui semblent exclusivement dictés par des considérations fonctionnelles à l'exclusion de toute autre. Or de tels modèles sont exclus de la protection prévue par le règlement et la directive sur les modèles.
Afin de combler un angle mort dans la protection unitaire des droits de propriété intellectuelle, il faut nous demander aujourd'hui si le modèle d'utilité ne présente pas une opportunité pour les entreprises, en particulier les petites et moyennes. Le succès enregistré par le certificat d'utilité en France depuis la loi PACTE (doublement des demandes en 2020 depuis l'allongement de la durée de protection de 6 à 10 ans) incite à reconsidérer la possibilité d'une harmonisation des conditions de protection. En effet, il existe des disparités importantes dans la législation des États membres qui ont un impact négatif sur le marché intérieur.
En même temps, certains aspects propres aux modèles ou certificats d'utilité sont très attractifs, comme la flexibilité et le moindre coût de la protection et la rapidité de la mise en œuvre du droit, ainsi que la possibilité (dans certains États membres) de convertir une demande de brevet en une demande de modèle d'utilité. La protection par un modèle d'utilité, que la France a mise en place, semble donc particulièrement appropriée pour des produits à cycle court et pour les PME qui souvent nécessitent une protection rapide et peu coûteuse pour leurs innovations. Il y a sans doute ici une réflexion intéressante à mener au niveau européen en s’inspirant de l’expérience française.
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Pourquoi est-il important que l’EUIPO et l’INPI collaborent étroitement ?
C. A. : La coopération fait partie de l’ADN de l’EUIPO. L’interopérabilité des droits de PI ne demande pas qu’un simple cadre juridique, elle repose sur un système véritablement intégré grâce auquel les bénéfices de l’innovation arrivent à maturité et les droits peuvent être défendus. En cela, l’INPI a toujours été l’un de nos principaux partenaires et a contribué à harmoniser les pratiques autant que possible, rendant le système de PI plus accessible, plus simple et plus efficace. En fait, l’apport de l’INPI est primordial pour atteindre l’objectif d’un renforcement du système de PI de l’UE.
Les Offices de PI des États membres sont des partenaires-clés qui, sur le fondement des projets de coopération européenne (PCE), donnent accès à des ressources au niveau national, régional et international. L’INPI a contribué à l’avancement d’un certain nombre de projets auxquels il participe : TMview, Designview, 11 pratiques communes dans les domaines des marques et des dessins et modèles, sans oublier le nouveau PCE6 (soutien aux PME). Je tiens également à souligner notre étroite coopération avec l’INPI via l’Observatoire européen des atteintes aux droits de propriété intellectuelle, laquelle nous permet de soutenir des initiatives ayant trait à la défense des droits.
L’un des projets auxquels l’INPI apporte tout particulièrement son appui est le PCE6 qui vise à permettre aux PME au sein de l’UE et au-delà de protéger et de défendre leurs avantages concurrentiels grâce à la PI. Forts de leur proximité opérationnelle avec les PME et de leurs réseaux regroupant une grande variété d’acteurs du monde des PME, les Offices nationaux de PI tels que l’INPI revêtent une importance capitale pour le succès de ce projet.
L’EUIPO et l’INPI conserveront un rôle essentiel dans le soutien aux entreprises françaises, en développant la coopération et en misant sur les nouvelles technologies pour améliorer l’engagement auprès des clients et leur satisfaction. Cela ne fait que commencer.
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Quel serait votre conseil aux entrepreneurs français ?
C. A. : Aujourd’hui, dans un monde de changements rapides, parfois imprévisible et de plus en plus numérique, il est important que les entrepreneurs, en France et dans l’UE, protègent leurs actifs immatériels et les exploitent intelligemment. Nous sommes nombreux à souhaiter que la pandémie ne soit plus qu’un lointain souvenir mais la réalité est là : l’économie européenne n’en est encore qu’au stade de la relance.
J’incite les entrepreneurs français à se rapprocher de nos homologues de l’INPI qui leur apporteront leur expertise et les aideront à élaborer une stratégie de PI constructive et performante, tant au niveau national qu’au niveau européen. L’INPI propose une vaste gamme de services visant à accompagner les entrepreneurs tout au long de leur parcours. Outre ces initiatives nationales, forts du succès du Fonds pour les PME en 2021 et des enseignements que nous en avons tirés, nous préparons un nouveau Fonds pour les PME pour 2022, amélioré et étendu qui plus est aux brevets.
Ce nouveau Fonds pour les PME permettra aux entreprises françaises et de l’UE d’obtenir le remboursement de 75 % de la taxe de base pour les demandes de marques et de dessins et modèles au niveau national, régional et de l’UE et de 50 % pour les demandes internationales de marques et de dessins et modèles ciblant des pays hors UE via les systèmes de Madrid et de La Haye. Nouveauté, les entreprises françaises pourront également demander le remboursement de 50 % du coût d’obtention d’un brevet national. Les conseils, dont les conseils en PI, pourront naturellement solliciter le Fonds au nom de leurs clients PME. Nous les incitons vivement à le faire.
J’invite les entreprises françaises à consulter régulièrement les sites internet de l’EUIPO et de l’INPI. Elles y trouveront bientôt toutes les informations et tous les outils nécessaires pour les guider sur la voie de la PI.