La protection de la propriété intellectuelle, un sujet au cœur des échanges de la PFUE
Juridiction unifiée des brevets et brevet unitaire : quels sont les bénéfices à venir pour les entreprises ?
L’année 2022 marque une étape importante pour les nombreux inventeurs et entreprises innovantes que compte l’Europe : l’entrée en vigueur à la mi-janvier de la juridiction unifiée des brevets (JUB), et l’arrivée prochaine du brevet unitaire (BU). De par leur construction juridique, ces deux nouveautés (BU et JUB) sont uniques en leur genre.
« Historique. Je pèse mes mots. Cela fait 40 ans que ce projet est en cours. » C’est avec ces mots que le Garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti a débuté son allocution d’ouverture. La JUB est une révolution !
Une longue marche semée d’embûches fût nécessaire pour aboutir à une construction essentielle, cohérente, solide, mais équilibrée entre droits international, européen et national. Huit années de travail et huit mois de préparation finale auront été utiles pour rendre cette nouvelle juridiction totalement opérationnelle. Son existence repose, non sur un compromis politique, mais sur le soutien essentiel et la satisfaction des utilisateurs du système de brevet européen. Elle sera composée de juges européens spécialisés hautement qualifiés, juridiquement et techniquement.
Un titre unique pour un marché unique : le brevet unitaire est un choix supplémentaire au regard du brevet européen existant. Son effet unitaire se matérialisera rapidement dans tous les États participants. Son attractivité ira croissante en fonction de son élargissement géographique.
Cinq avantages sont attendus de cet outil juridique cohérent et efficace : sa flexibilité, sa couverture géographique, sa sécurité juridique accrue, sa simplification administrative, et enfin son coût réduit. « La JUB garantira un cadre juridique renforcé, unifié et financièrement attractif pour les innovations. » a affirmé le Garde des Sceaux
Il appartient désormais aux utilisateurs de tirer le meilleur parti des dispositifs qui sont à leur disposition, et aux entreprises de revisiter leur stratégie d’innovation et de brevet, afin de participer pleinement à la construction de ce nouveau système de protection en mode « je teste et j’apprends ».
Comment la PI agit-elle au profit de la relance pour les PME ?
« Les PME qui ont recours à la PI appartiennent à l’écosystème des industries intensives en droit de PI, qui représentent 45% du PIB de l’UE et 39% des emplois. Les salaires de ces entreprises sont en moyenne 72% plus élevés que ceux des autres industries. C’est parce qu’elles investissent dans l’innovation. Les PME ayant des titres de PI ont 21% de chance de croître dans les années suivantes. » a rappelé Yann Ménière, économiste en chef à l’Office Européen des Brevets lors de son intervention.
Force est néanmoins de constater que les PME déposent peu (9 % des PME enregistrent des droits de propriété intellectuelle), principalement par manque de connaissance des protections utiles, ou peut-être parce que les chefs d'entreprises trouvent, à tort, la dépense trop lourde. Pour parer à cette situation, la Commission européenne et ses agences (EUIPO, CEI) proposent des outils, des financements et des accompagnements pour faciliter le développement des PME par l'accès aux droits de propriété intellectuelle (DPI) ; les entreprises innovantes sont soutenues dans les technologies de rupture, là où l’Europe est forte.
« Il faut passer du Lab à la Fab et aider les entreprises à mieux appréhender le marché sur lequel elles vont aller, y compris en termes de PI. » a affirmé Jean-David Malo, Directeur de l’Agence exécutive pour le Conseil européen de l’innovation et les PME.
Pour les entreprises et leurs représentants, il faut travailler maintenant sur la relance.
« Le brevet unitaire sera une aide importante apportée aux PME ; l'essentiel est de fournir l'information et l'aide nécessaire à un prix acceptable. » a déclaré Véronique Willems, Secrétaire générale de SME United.
La protection des droits de propriété industrielle, dont le brevet, est une nécessité, à usage défensif et offensif.
« L'innovation est indispensable, et la PI fondamentale. L'innovation incrémentale ne s’oppose pas à l'innovation de rupture. Le brevet est un facteur de progrès et non un objet monopolistique, incontournable pour les start-up. » a conclu Jacques Lewiner, Professeur et Directeur scientifique de l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles.
Selon ce « serial » praticien de la PI, la collaboration entre PME, universités et centres de recherche doit être intensifiée car ces derniers possèdent des innovations en devenir et les chercheurs n'ont pas toujours la vision des entrepreneurs.
Indications géographiques artisanales et industrielles : pourquoi protéger les savoir-faire locaux ?
« Les indications géographiques (IG) existent depuis l'Antiquité. C’est le lien entre la nature et la culture. Si la matière première n’est pas nécessairement locale, le savoir-faire l’est. » a rappelé Delphine Marie-Vivien, Chercheuse en droit et Directrice adjointe UMR Innovation au CIRAD.
Malgré cette antériorité, la nécessité de protéger les IG industrielles et artisanales en Europe subsiste. La contrefaçon est omniprésente - surtout si les produits bénéficient d’une renommée internationale. Aussi, le système doit permettre de protéger la valeur ajoutée des IG, tout en harmonisant leur encadrement avec les autres titres de PI.
« Le tourisme gastronomique doit se cumuler au tourisme industriel. », a commenté Benjamin Moutet, Directeur chez Tissage Moutet – linge basque.
Laurence Besse, représentante de l’association Porcelaine de Limoges, indication géographique homologuée par l’INPI en décembre 2017, a livré son témoignage lors de cette table ronde.
« Au-delà des protections individuelles, Il y a une volonté historique des filières de se protéger : l’IG est effectivement une protection collective partagée par des opérateurs respectant un même cahier des charges, leur permettant par exemple de faire intervenir les douanes pour la destruction de produits contrefaisants. Des actions peuvent également être menées sur des sites marchands et des noms de domaine litigieux. »
A l’échelle européenne, la Commission s’est saisie du sujet d’une protection ad hoc pour les quelques 800 IG industrielles et artisanales potentielles, afin de pouvoir lutter efficacement contre la contrefaçon. Une consultation menée par la Commission européenne a montré qu’une large majorité des participants souhaite un système de protection autonome des IG.
Selon Claudia Martinez, Cheffe d’unité adjointe à la DG GROW, cette étude a permis d’examiner plusieurs options : l’extension des Indications géographiques agricoles (IGA) aux Indications géographiques industrielles et artisanales (IGIA), le développement d’un règlement européen et la réforme du régime des marques afin d’y intégrer les IGIA. La présentation d’un texte aux États Membres devrait intervenir très prochainement.
Comment l’innovation peut-elle être un levier pour lutter contre la contrefaçon ?
« La contrefaçon mondiale représente 400 milliards d'euros. 96% des produits exportés de l’Union européenne vers des pays tiers viennent des industries intensives en matière de PI, faisant de la contrefaçon un problème global pour notre économie européenne. » a déclaré Paul Maier, Directeur de l’Observatoire Européen des atteintes aux droits de Propriété Intellectuelle.
Au-delà des actions de lutte contre la contrefaçon, la législation douanière va être renforcée et une boite à outils européenne est en cours de préparation.
Pendant la pandémie, les pratiques d’achat des consommateurs ont fortement évolué, avec une forte croissance des achats en ligne : la contrefaçon est accessible partout, tous les produits pouvant être contrefaits, y compris les médicaments et dispositifs médicaux (38% de croissance durant la pandémie). « Au sein de l'Union européenne, le seul moyen de lutter correctement est d'harmoniser les droits et de créer des sanctions pénales. » a affirmé Oscar Alarcon, Secrétaire exécutif du Comité des Parties de la convention MEDICRIME. Certains contrefacteurs, exerçant précédemment leur activité dans le trafic de stupéfiants, un domaine plus pénalisé, arrivent maintenant à proposer des contrefaçons proches du produit original, au même prix que celui-ci.
« En France, en 20 ans, nous sommes passés de 100.000 à près de 6 millions de contrefaçons saisies par la Douane, notamment dans le fret express et le fret postal. En Italie, la contrefaçon coûte annuellement 10 milliards d'euros : ce défi prend de l'ampleur partout en Europe. », a constaté Christian Peugeot, Président de l’association française de lutte anti-contrefaçon, UNIFAB.
Une collaboration entre acteurs publics et privés est indispensable, y compris celle impliquant les sites de vente en ligne, dans le souci de leur intérêt commun. Les signalements des titulaires de droits sont rendus possibles sur certaines plateformes et des outils informatiques ou algorithmes, permettant de reconnaître automatiquement la contrefaçon, sont progressivement mis en place.
Lors de cette conférence, les échanges entre experts, artisans et entreprises ont mis en exergue la nécessité, pour les inventeurs et les entreprises innovantes, d’une Europe de la PI toujours plus unifiée.
L’arrivée prochaine du brevet unitaire en est l’illustration : après plusieurs décennies de travaux, elle marque une étape importante dans le droit européen de la PI.
Qu’il s’agisse de lutter contre la contrefaçon, de soutenir les PME ou de défendre les savoir-faire, la protection de la propriété industrielle est au cœur des ambitions européennes de développement et de compétitivité.
« La relance est l’avenir de la richesse économique car elle repose sur la capacité à protéger ceux qui inventent, développent et exportent. » c’est ainsi qu’a conclu Jean-Marie Cavada, Président de l’iDFRights - Institut des Droits fondamentaux numériques.
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* Cet événement n’est pas organisé par le Gouvernement français. Il est cependant autorisé par celui-ci à utiliser l’emblème de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.