Gaston Mille, un chausseur sachant innover
Rares sont les PME à voir se succéder quatre générations à leurs manettes. C’est le cas de la société Gaston Mille, aujourd’hui fabricant de chaussures de sécurité, créée il y a plus d’un siècle, en 1912. À l’époque, l’entreprise compte 400 salariés et produit des chaussures de ville. Charles, Hugues et Nicolas vont succéder à Gaston, le fondateur. En cent ans d’existence, le chausseur a subi bien des tempêtes : premières vagues de délocalisation en Chine et en Inde dans les années 1980, crise du secteur, seconde vague de délocalisation dans les années 2000... Le secret de sa résistance tient en un mot : innovation. « Nous sommes sans cesse en train de créer et d’expérimenter pour avoir un temps d’avance sur le marché », explique Nicolas Mille. Son grand-père, Charles, avait en son temps décidé d’un tournant majeur en réorientant l’entreprise vers la chaussure de sécurité, un marché de niche plus solide que celui de la chaussure de ville. Hugues, le père de Nicolas, a entrepris l’automatisation des procédés, avec l’utilisation des premières machines à injecter.
Cette politique d’innovation constante a permis à l’entreprise de relocaliser sa production en France dans les années 2010. Semelles antiglisse, protection anti-écrasement, matériaux de pointe, résistance électrique : les chaussures et surchaussures sont devenues des concentrés de technologies. « Nous collaborons avec des partenaires tels que BASF, qui fournit également Adidas. Nous suivons la même dynamique que les chaussures de sport », souligne Nicolas Mille. Sans compter que les chaussures de sécurité doivent subir plus de 60 tests – résistance aux chocs, aux composants chimiques et électriques, à l’abrasion – pour correspondre aux normes françaises et européennes.
L’adoption d’une véritable stratégie PI...
Mais pendant toutes ces années, la PME n’a pas vraiment pris le temps d’établir une stratégie en matière de protection industrielle. Jusqu’à ce que le dirigeant se rende compte du coût d’une telle omission : le dépôt d’un premier brevet à la va-vite laisse des trous dans la protection de la création ; un salarié quitte l’entreprise en emportant avec lui les prémisses d’une nouvelle invention ; la concurrence chinoise copie sans vergogne certaines trouvailles... « Nous avons décidé de mener un audit sur nos pratiques de propriété intellectuelle pour ne plus être confrontés à de tels problèmes », raconte Nicolas Mille. Ce rapport Booster PI réalisé avec l’INPI en mars 2011 permet de pointer plusieurs pistes d’amélioration. Les contrats des salariés sont désormais rédigés avec une solide clause de confidentialité. Cette obligation est également incluse dans les contrats noués avec les partenaires extérieurs et les fournisseurs. Étant donné l’importance de la R&D pour l’entreprise, un « Cahier de Laboratoire » est institué. Tout test doit être consigné, ainsi que son suivi et ses résultats. « Cela nous permet de fixer l’historique du développement d’un produit, et ainsi de produire des preuves d’antériorité lors de contentieux éventuels », souligne le jeune dirigeant. Autre règle préconisée par le rapport et mise en œuvre par la société : tout brevet doit être pris au nom et au profit de l’entreprise. Le rapport incite également la société à déposer des brevets pour des innovations telles que la fabrication d’une chaussure sans chrome, qui étaient restées jusqu’alors sans protection.
... rationalisée, défensive et offensive
D’un point de vue organisationnel, plusieurs cabinets géraient les différentes marques de la société. À la suite de l’audit, Nicolas Mille décide de rationaliser sa stratégie en regroupant cette gestion au sein d’un seul et même cabinet. Enfin, le rapport Booster PI offre aussi des réponses réactives et fermes au problème de contrefaçon auquel se heurte systématiquement l’entreprise, avec par exemple la possibilité de demander une action en rétention aux douanes. « J’ai commencé à utiliser cette arme, car certains pays ne jouent pas le jeu d’une concurrence loyale et sont par ailleurs beaucoup plus protectionnistes que nous, explique Nicolas Mille. Chaque nouvelle gamme de produits nécessite un budget d’environ 100 000 euros. Je ne peux pas permettre la copie par d’autres de nos idées sans réagir. »
Aujourd’hui, l’entreprise continue sa politique d’innovation tous azimuts, avec le recrutement d’une équipe de cinq personnes au bureau d’études. En ligne de mire : la chaussure « intelligente et connectée ». Les premiers prototypes devraient sortir au printemps 2017. « Pour que notre société soit pérenne, nous devons toujours avoir un temps d’avance et proposer des innovations technologiques, mais il nous faut dans le même temps veiller à protéger au maximum nos idées », conclut Nicolas Mille.