Total : innovation collaborative et propriété intellectuelle

Avec 18 000 brevets, 65 personnes travaillant dans les services de propriété intellectuelle et de 8 à 10 000 dans les unités de recherche et développement du groupe qui font elle-mêmes appel à de multiples partenaires, le mastodonte Total connaît bien l'innovation collaborative. Revue de ses modalités et enjeux avec le Directeur PI du groupe.

Pour Fabirama Niang, il est évident qu'on réfléchit mieux à plusieurs et qu'il serait idiot de se passer d'un beau cerveau juste parce qu'il n'est pas un employé du groupe. Il va même plus loin : la recherche collaborative est inéluctable et on ne reviendra pas en arrière. En revanche, pour lui, on n’a pas encore trouvé les modalités, ni les contrats qui la facilitent au mieux. On peut résumer les principales difficultés par des questions simples : qui est censé faire quoi ? Et plus encore lorsqu'il y a des résultats : qui en tire quoi ? La propriété intellectuelle est alors évidemment un sujet central des contrats – durement négociés au cas par cas – sachant que les objectifs peuvent différer selon la nature des collaborateurs.

Total et les universités : comment rémunérer la recherche ?

Le groupe collabore avec les meilleurs universités dans le monde entier. Selon les objectifs des centres de recherche, la collaboration prend alors la forme d'une « prestation de recherche » ou d'une recherche conjointe. Dans le premier cas, on a souvent affaire à un centre qui veut faire « tourner » son laboratoire et donc trouver des financements mais sans volonté d'exploiter les résultats. Il s'agit alors de s'entendre sur le moyen de rémunérer le travail de recherche à sa juste valeur. Dans le second cas, on trouve au contraire des centres de recherche qui comptent exploiter la découverte sous forme de licences et qui souhaitent donc partager les droits de propriété intellectuelle. Dans tous les cas, Fabirama Niang constate depuis quelques années au sein des universités des revendications plus affirmées d'obtenir des retours financiers directs ou indirects des exploitations de leur recherche. Le Directeur PI précise par ailleurs que les liens et (bons) rapports avec les universités et leurs meilleurs étudiants sont essentiels pour attirer les talents dans l'entreprise. Enfin, les liens de Total avec les universités prennent aussi la forme de financement de chaires et de stages de haut niveau.

 

« We pay, we own » : un nouveau rapport aux sous-traitants.

Historiquement, lors de recherches conjointes entre Total et ses sous-traitants, le groupe s’est souvent contenté de bénéficier de la technologie en laissant aux derniers la propriété intellectuelle qui en découle. Depuis quelques années, le groupe essaie  d’implémenter une politique plus ferme, selon une formule qui tient en quatre mots : « We pay, we own » ! Autrement dit, si Total investit dans une recherche ou une technologie, il veut posséder une part des droits sur l'exploitation correspondant à son investissement. Les recherches collaboratives avec les sous-traitants font donc maintenant souvent l'objet de contrats de co-propriété.

C'est aussi le cas des co-financements de projets avec d'autres industries qui sont dans la plupart des cas des concurrents. En effet, on ne trouve jamais un seul intervenant sur un champ de pétrole. Il est donc assez naturel pour Total et les autres entreprises de collaborer pour l'intérêt de chacun.

 

Course à la technologie : investir dans la bonne start-up.

Enfin, Total collabore régulièrement avec des start-up par investissement ou par financement. Une manière pour le groupe d'apprendre et d'aller vite sur des technologies nouvelles et/ou d'autres énergies, par exemple le solaire. Il n'est d'ailleurs pas rare que le géant du pétrole investisse dans plusieurs start-ups développant chacune une technologie pour augmenter ses chances de réussite. Lorsque l'une d'elle se détache, il peut alors être intéressant de ré-investir ou de signer un contrat de co-développement.

Législation européenne et consortiums : peut mieux faire ?

Pour faciliter les recherches collaboratives et – à priori –  simplifier la question de l'exploitation des résultats, l'Europe a mis en place des règles pour les consortiums de recherche dont elle assure le financement, où chacun est co-propriétaire des droits de propriété intellectuelle. Mais Fabirama Niang constate que lorsqu'il y a de nombreux co-propriétaires, l’exploitation des résultats est rendue difficile et les retours financiers sont faibles. Ce qui entraîne un effet pervers contraire à l'objectif de départ : les entreprises évitent parfois les consortiums ou bien choisissent ceux où la question de leur exploitation est moins cruciale. Ce qui se traduit notamment par un ratio très faible de brevets par rapport à l'argent investi.