Femto-ST : un laboratoire public rentré dans la cour des grands
> Qu'est-ce qui explique l'intérêt d'un grand laboratoire public de recherche comme le vôtre pour les projets industriels ?
Laurent Larger : Dans le champ des sciences de l’ingénieur comme celles de l’information et de la communication, cela relève plus ou moins de l’évidence : nous avons toujours eu une sensibilité naturelle pour identifier des applications concrètes liées aux axes de recherche que nous développons. Au fil du temps, nous avons même diversifié nos approches. D’une part, nous mettons en place des partenariats avec des PME ou de grands groupes industriels : par exemple, en 2015, nous avons créé un laboratoire mixte avec la société SENSeOR autour d’un projet de micro-acoustique sur les capteurs sans contact autoalimentés qui ont l’avantage de réaliser des mesures dans des conditions extrêmes. À terme, ce projet devrait permettre des avancées dans la métrologie du temps. D’autre part, certains de nos projets de recherche conduisent à la création de spin-offs. Lors de leurs recherches, certains chercheurs de l’unité reconnaissent une application de leurs résultats et identifient un marché. Ils sortent alors de l’unité pour créer leur société. Au cours des cinq dernières années, nous avons été à l’origine de la création de 7 spin-offs. C’est un rythme effectivement assez intensif par rapport à d’autres laboratoires de recherche académiques comme le nôtre.
> Votre ancrage régional semble également très important.
L. L. : Oui, on dit de la Franche-Comté qu’elle est la 1re région industrielle de France par rapport au nombre d’habitants. C’est une région assez peu peuplée mais où sont présents de grands industriels, comme PSA ou Alstom, avec lesquels nous essayons de cultiver de plus en plus d’échanges. Ainsi, nous avons conclu une convention de partenariat avec PSA Peugeot Citroën. Celle-ci prévoit des contrats de recherche, le montage de projets conjoints, le financement de doctorants ou l’accès à certains équipements, mais aussi un soutien aux formations universitaires.
Du côté des spin-offs, deux sont en rapport avec le domaine de l’énergie : la production d’électricité par pile à combustible et la récupération de chaleur par un moteur Ericsson. Ces principes, connus depuis longtemps, n’avaient jusqu’à présent pas été développés pour des raisons économiques, historiques et technologiques. Ils suscitent à présent un regain d’intérêt, notamment chez les constructeurs automobiles, car ils reposent sur des modes de production d’énergie peu polluants. Ces spin-offs se sont installés autour de Belfort. Le site est d’ailleurs devenu une antenne leader sur certaines études autour de la pile à combustible, à l’échelle nationale, voire internationale, notamment grâce à la création d’une fédération de recherche CNRS sur le sujet (FCLAB). À Besançon, de jeunes entreprises ont été également créées autour des technologies des capteurs, de l’acoustique ou de la micro-robotique.
> Plus concrètement, quels outils sont à votre disposition pour développer ces liens avec l’industrie ?
L. L. : Dans un premier temps, Femto-ST a bénéficié du Label Carnot qui a vocation à développer la recherche partenariale entre laboratoires publics et entreprises. Mais en 2013, nous avons perdu ce label car les critères de sélection se sont durcis envers les laboratoires académiques. Un mal pour un bien : suite à la perte du label et avec le soutien de l’Université de Franche-Comté, nous avons décidé de créer nous-mêmes une fondation partenariale : Franche-Comté Innov. Celle-ci a permis le lancement d’une business unit, la Femto-Engineering. Elle joue le rôle d’interface entre la recherche assurée par Femto-ST et les besoins d’innovation des industriels. Cette équipe de 14 personnes, composée à la fois d’ingénieurs et d’anciens doctorants, a pour mission de relier les résultats de recherche de l’institut à des solutions économiques séduisantes pour l’industrie. Forte de son succès, Femto-Engineering a été intégrée dans le laboratoire Carnot Télécom Société Numérique, le troisième plus gros laboratoire de l’Institut Carnot. Aujourd’hui, Femto-Engineering possède un budget annuel de 800 000 € constitué pour un tiers de financement public, un tiers de financement public sur projets et un tiers de financement industriel. Si la structure veut grossir, il faudra que son financement évolue vers plus de financements privés afin qu’elle puisse gagner en indépendance.
> Quelles sont justement les perspectives d’évolution de Femto-ST ?
L. L. : Nous vivons dans un paysage particulier. Avec la nouvelle répartition des régions notamment, des restructurations sont en cours. L’autre difficulté que nous rencontrons du fait de notre proximité avec l’industrie, c’est le départ de nos chercheurs vers le monde de l’entreprise. Ceux-ci ne sont pas systématiquement remplacés ou bien au terme de longues procédures de recrutement. Malgré cela, nous menons des projets transversaux très prometteurs avec de proches partenaires. Dans le domaine du biomédical, par exemple, en particulier avec le tri cellulaire ou la micro- et nanochirurgie robotisée. Notre département informatique a également développé un algorithme permettant de prédire l’évolution du génome, notamment celui des bactéries responsables des maladies nosocomiales. Nous travaillons également sur le micro et le nano-usinage par laser Femtoseconde, pour lequel nous avons d’importants brevets. L’utilisation de ce laser permet notamment de réaliser des composants intégrés ou d’inscrire des motifs invisibles à l’œil nu pour lutter contre la contrefaçon. On peut également mentionner les nombreuses perspectives ouvertes par l’Internet des objets et la matière programmable. Sans oublier les opportunités en micro-nano-fabrication rendues possibles grâce à notre centrale de technologie MIMENTO.
> Pour conclure, avec six ans de recul, que vous a apporté le Trophée INPI ?
L. L. : Nous avons mis en avant ce Trophée le plus souvent possible car il montre aux acteurs économiques que nous possédons une véritable culture d’interaction avec les milieux de l’industrie. Cette carte de visite a assurément facilité nos échanges. En France, le milieu académique se trouve très souvent en opposition avec le monde industriel. Il me semble que cela est très lié à la structuration de l’enseignement supérieur et à la dichotomie qui existe entre l’université d’un côté et les écoles d’ingénieur de l’autre. Mettre en avant l’INPI nous a aidés à travailler main dans la main avec l’industrie. Malgré notre petite structure montée à une échelle locale, nous avons ainsi pu rentrer dans la cour des grands en intégrant le Carnot TSN.
Présentation de Femto-ST
Unité mixte de recherche placée sous la tutelle de quatre établissements d’enseignement supérieur et de rechercher : le CNRS, l’Université de Franche-Comté, l’École Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques (ENSMM), et Université de Technologie Belfort-Montbéliard.
Femto-ST est né en 2004 de la fusion de plusieurs laboratoires autour de deux grands champs disciplinaires : les sciences de l’ingénieur et les sciences et technologies de l’information et de la communication. Leur particularité étant justement d’associer les deux.
Aujourd’hui, Femto-ST comptabilise 800 membres (dont 320 permanents) dans sept départements disciplinaires — robotique, informatique des systèmes complexes, énergie, mécanique appliquée, micro et nanosciences des systèmes, optique et temps-fréquence — répartis sur trois sites : Besançon, Belfort et Montbéliard.
Ses champs d’application sont variés : énergie et transports, santé, télécommunications, aérospatial, instrumentation et métrologie, horlogerie ou industrie du luxe.