Poietis, des tissus biologiques humains à portée de main

Pourra-t-on bientôt imprimer en 3D du tissu humain et l’implanter chez des patients ? Ce rêve commence à se concrétiser à Bordeaux, dans les locaux de la start-up Poietis — en grec : « celui qui crée, qui transforme des idées en réalité ».
Tout a commencé en 2005 dans le laboratoire d’un chercheur de l’Inserm, Fabien Guillemot. Son équipe est chargée d’examiner les opportunités offertes par la bioimpression assistée par laser. Il n’y a alors que peu de spécialistes du sujet encore balbutiant. Quatre ans plus tard, le Congrès international de bioimpression en réunira à peine une soixantaine. Mais dès 2006, l’équipe met au point une première machine, un prototype en partenariat avec un industriel local spécialiste du laser pour le micro-usinage. En 2008, une nouvelle piste apparaît. « On commence à parler de l’intérêt de l’impression 3D pour notre domaine de recherche », raconte Fabien Guillemot. L’idée serait d’appliquer couche par couche des constituants des tissus biologiques selon des organisations prédéfinies par conception numérique. Le chercheur a à cœur d’impliquer des cliniciens dans ses travaux. Les plus intéressés à l’époque sont les dentistes, friands de solutions possibles pour la réparation du tissu osseux. Une thèse est menée sur la fabrication de produits d’ingénierie cellulaire qui permettent cette réparation. L’équipe poursuit ses recherches et dépose en 2010 un brevet pour protéger ces premiers résultats, en partenariat avec l’Université de Bordeaux.

Du laboratoire à la start-up : concours, études de marché et voyage américain
Plusieurs éléments vont alors concourir pour sortir cette innovation des laboratoires de l’Inserm et permettre la création d’une entreprise. Le premier facteur est un concours organisé par l’Université de Bordeaux pour identifier des technologies à valoriser. L’équipe de Fabien Guillemot est lauréate et reçoit un financement qui lui permet de mener une étude de marché. « Je n’avais pas encore de velléités pour créer une entreprise, mais je m’interrogeais sur les débouchés éventuels possibles » raconte-t-il. L’étude de marché fait apparaître la possibilité de fabriquer des modèles cellulaires in vitro pour la R&D industrielle, notamment dans le domaine cosmétique. Soumises à des nouvelles réglementations encadrant strictement les tests sur les animaux, les entreprises de ce secteur sont à la recherche de nouvelles façons de procéder à des essais sur la peau. L’utilisation de tissu biologique produit industriellement les intéresse.
Le deuxième facteur d’accélération est un choc culturel et entrepreneurial. Invité à l’Université de Harvard, Fabien Guillemot passe six mois aux États-Unis. « J’ai pris conscience de deux choses : d’une part, le retour dans la sphère académique française allait être difficile après avoir vécu dans un laboratoire où les moyens étaient sans comparaison ; d’autre part, la technologie que nous avions élaborée se défendait bien par rapport à ce qui existait ailleurs », souligne-t-il. Troisième élément fondateur, la jeune pousse est lauréate du concours national du ministère de la Recherche dans la phase d’émergence. Elle bénéficie de moyens supplémentaires et est accueillie dans l’incubateur régional d’Aquitaine. Poietis est officiellement fondée en 2014 par Fabien Guillemot et Bruno Brisson, un ancien consultant spécialiste de la biotechnologie. Le programme pour la suite est plutôt chargé. « Nous souhaitions développer les premiers produits, établir des partenariats avec des firmes cosmétiques et pharmaceutiques, et bien sûr continuer à développer la technologie pour mettre au point une imprimante de nouvelle génération à caractère industriel » raconte Fabien Guillemot.

Une nouvelle stratégie de propriété industrielle
Poietis avait obtenu l’exclusivité de l’exploitation du premier brevet de 2010, c’est-à-dire la possibilité de concevoir et distribuer des imprimantes utilisant la technologie protégée par ce brevet. Entre 2012 et 2014, une seconde génération de machines a été mise au point, et deux nouveaux brevets ont été déposés par l’INSERM et l’Université de Bordeaux sur les innovations techniques apportées par rapport à la première génération. Poietis en a la licence exclusive, dans tous les domaines d’application et au niveau mondial. « La bioimpression est un domaine encore émergent et où la survie dépend de la propriété intellectuelle » remarque Fabien Guillemot. Depuis 2014, quatre nouveaux brevets ont été déposés par Poietis, dont un en partenariat avec SATT Aquitaine, la société d’accélération du transfert de technologies de la région Aquitaine. « Ces brevets, fruits d’un an et demi de travail, comportent beaucoup d’éléments : procédé laser, équipements, briques logicielles. Il est probable que nous les scindions par la suite » remarque le directeur technique Bertrand Viellerobe. Il faut dire que la bioimpression assistée par laser comporte plusieurs grandes étapes : tout d’abord, un fichier numérique décrivant l’architecture des tissus biologiques est produit par CAO (conception assistée par ordinateur). Puis l’imprimante est programmée ; l’impression 3D des tissus se fait ensuite par dépôts couche par couche de micro-gouttes d’encres biologiques. Le tissu bioimprimé entre dans une phase de maturation, avant d’être utilisé pour évaluer la toxicité ou l’efficacité de molécules thérapeutiques ou d’ingrédients cosmétiques. L’avantage de la bioimpression par laser est qu’elle permet une précision beaucoup plus grande qu’une bioimpression par extrusion (avec des microseringues), l’autre technologie utilisée pour l’instant par 90 % des acteurs du marché. « Nous avons la capacité d’imprimer à cellule unique, c’est-à-dire cellule par cellule, avec une résolution très importante, ce qui permet de fabriquer un tissu de façon reproductive, en toute sécurité, et de contrôler beaucoup plus précisément ce que l’on fait, souligne Fabien Guillemot. Notre ambition est de standardiser la fabrication de tissus biologiques. »

Le cercle vertueux de l’innovation
Le secret de cette créativité ? « La pluridisciplinarité de nos équipes ! » répond-il sans hésiter. Parmi les 22 salariés de l’entreprise, on trouve aussi bien des biologistes que des développeurs de logiciels, des spécialistes de l’optique et de la mécanique. « Pour faire discuter ensemble ces experts, nous avons mis en place une organisation et une gestion de projet en mode agile », poursuit-il. Les biologistes soulèvent des problématiques éventuelles d’usage et valident les développements technologiques. Ces retours d’expérience favorisent un cercle vertueux d’innovation. Parallèlement, la société poursuit des travaux de recherche plus fondamentale, en lien avec son ADN.

Objectif : soigner !
Si les premiers clients de Poietis sont comme prévu les entreprises cosmétiques, à terme, l’équipe se fixe un objectif ambitieux : faire en sorte que la technologie soit utilisable dans le domaine clinique. Autrement dit, que l’on puisse implanter des tissus chez l’homme, par exemple pour des greffes de peau. « Nous espérons pouvoir organiser les premiers essais cliniques sur l’homme dans cinq ans », annonce Fabien Guillemot. Une promesse qui pourrait révolutionner la vie de nombreux patients.