Peut-on déposer une couleur à titre de marque ?

Le orange de... Orange, le rouge de Coca-Cola, le bleu Décathlon, la liste est longue des couleurs que l'on associe spontanément à des entreprises. Et la tentation est grande pour ces dernières de les déposer à titre de marque pour renforcer du même coup leur identité visuelle et leur protection vis-à-vis des concurrents. Le Code de la propriété intellectuelle n'exclut effectivement pas qu'une couleur puisse constituer une marque valable. Cependant, si l'on pouvait encore il y a une quinzaine d'années obtenir une protection sur une couleur relativement facilement, la jurisprudence communautaire a limité drastiquement la pratique en l'encadrant très précisément.

Théoriquement permis, concrètement très limité
En théorie, l'article L 711-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « les signes figuratifs tels que (…) les dispositions, combinaisons ou nuances de couleurs » peuvent constituer des marques. Mais il précise aussi que ce signe doit être distinctif, c'est-à-dire permettre à un consommateur d'identifier l'origine commerciale des produits ou services qui en sont couverts par rapport à ceux des concurrents. Or, une couleur est généralement perçue par le public comme un élément de décoration, pas forcément comme un signe identifiant l'origine commerciale de produits ou de services. En outre, le nombre de couleurs qu'une personne est en mesure de percevoir dans la vie courante étant relativement limité, il existe un intérêt général à ne pas restreindre la disponibilité des couleurs pour les opérateurs offrant les mêmes produits et services. La jurisprudence précise d'ailleurs qu'on ne peut pas déposer une couleur mais une nuance ou une combinaison de nuances qui doivent être désignées au moyen d'un code internationalement reconnu comme le Pantone par exemple. Par ailleurs, s'agissant d'une marque simplement constituée d'une nuance de couleur, les circonstances dans lesquelles l'INPI ou ses homologues européens considéreront qu'elle est suffisamment distinctive pour être protégée sont exceptionnelles. Ce serait le cas si le marché pertinent des produits visés est très spécifique et que l'association de la couleur avec les produits est particulièrement inhabituelle. En revanche, on n'acceptera jamais une nuance de vert pour des produits écologiques. Une autre circonstance peut justifier l'octroi d'une marque sur une couleur : si le déposant démontre que le signe a acquis un caractère distinctif par l'usage. C'est-à-dire si du fait de son exploitation massive, la couleur est immédiatement associée par le consommateur au déposant. C'est le cas de Milka avec la couleur lilas ou de la combinaison de couleurs d'Ikéa qui font toutes les deux l'objet d'une marque communautaire après avoir prouvé qu'elles avaient acquis un caractère distinctif par l'usage. Notons enfin que si les cas d'octroi sont rares, les demandes de dépôt le sont tout autant. Ce qui n'empêche évidemment pas d'utiliser des couleurs dans un dépôt de logo — où ce sera leur assemblage et combinaison qui sera considéré — ou de marque complexe, c'est-à-dire composée d'éléments figuratifs et textuels. Dans ces cas-là d'ailleurs, le code international type Pantone ne sera pas demandé.

Quelle protection vis-à-vis des concurrents ?
En terme de protection, on distinguera les couleurs protégées à titre de marques et celles faisant partie de l'identité visuelle de l'entreprise. Dans le premier cas, la marque pourra attaquer le concurrent en contrefaçon, sachant qu'il lui appartiendra de démontrer qu'il existe un risque de confusion pour le consommateur et donc que la couleur est bien distinctive. Dans le second cas, il peut y avoir parasitisme ou concurrence déloyale si un concurrent s'inscrit volontairement dans le sillage d'une entreprise en reprenant systématiquement les mêmes couleurs et en les utilisant de manière à tromper le public.

L'ART DES COULEURS : LE BLEU KLEIN ET LE NOIR KAPOOR.

Loin du droit des marques mais bousculant aussi l'idée de propriété des couleurs, il existe deux cas relativement connus dans le domaine de l'art. Le premier est celui du bleu « IKB » — pour « International Klein Blue » — du peintre d'avant-garde Yves Klein connu pour ses monochromes. La légende dit qu'il l'a « inventé » et « déposé » à l'INPI. En réalité, ce n'est pas la couleur mais la formule d'un liant, une pâte fluide, associé au pigment bleu outremer n° 1311 et qui lui donne toute sa profondeur, dont l'artiste et son partenaire fabriquant de peinture ont souhaité revendiqué la paternité par le biais d'un dépôt d'une enveloppe Soleau en mai 1960. Un bleu qui méritait sûrement toute son attention.. si l'on en croit la manière dont il en parlait : « Toutes les couleurs amènent des associations d'idées concrètes matérielles ou tangibles d'une manière psychologique, tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel. Ce qu'il y a après tout de plus abstrait dans la nature tangible et visible. » Quant à l'artiste contemporain anglais Anish Kapoor, c'est en achetant une licence exclusive pour le domaine de l'art sur le brevet du Vantablack qu'il a fait scandale dans le milieu. Produite par la société Surrey NanoSystems pour couvrir les satellites et avions de combat furtifs, cette variété et matière de noir a la capacité d'absorber la lumière à 99,96 %. Autrement dit, un objet recouvert de Vantablack devient presque invisible. « Cette peinture est si noire qu'on ne peut presque pas la voir » précise l'artiste qui a fait voir rouge au monde de l'art en s'appropriant symboliquement une « couleur ».