Marion Canale : « Nous devons nos réussites à la seule force de notre travail »
Pouvez-vous raconter la genèse de votre entreprise ?
Mon grand-père, oléiculteur dans notre village d’origine, en Italie, a dû faire face à la problématique de la bactrocera oleae, plus connue sous le nom de mouche de l’olive. Une année, les infestations* étaient telles qu’il a perdu 80 % de ses récoltes.
De cette histoire très personnelle est né d’abord mon sujet d’études, la mouche de l’olive, auquel j’ai consacré trois ans. Puis, en approfondissant mes recherches, j’ai constaté que la problématique des ravageurs agricoles ne faisait pas uniquement le malheur de mon grand-père mais qu’elle s’étendait à l’échelle française, européenne et mondiale. C’est dans ce contexte que j’ai créé, avec mon associée et cousine Solena Canale-Parola, Cearitis. Notre société développe des solutions dites de biocontrôle, pour protéger les cultures arboricoles contre les ravageurs**.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’entreprendre ?
Il était fondamental que ma carrière ait un sens et qu’elle reflète mes valeurs.
Le soutien de ma famille, en particulier sur le plan financier, a par ailleurs été déterminant dans le développement de mon projet entrepreneurial.
De plus, un stage effectué au sein d’un groupe pharmaceutique m’a fait réaliser que la stratégie des grands groupes n’était pas en adéquation avec mes aspirations professionnelles.
Quels freins, en tant que femme ou pour une autre raison, avez-vous rencontrés ?
Le financement et la règlementation constituent les freins les plus importants. Bien que nos produits naturels soient éligibles à la labellisation biologique, les processus d’homologation sont très longs car ils relèvent de la Commission européenne. Il faut donc patienter entre cinq et huit ans.
En tant que femmes, nos interlocuteurs vont attendre beaucoup plus de justification de notre part que si nous avions été des hommes. Surtout lorsque nous levons des fonds privés via des réseaux de business angels, des investisseurs pour lesquels nous avons dû avancer beaucoup de preuves techniques de l’efficacité de notre produit. Certains s’assurent que nous n’avons pas falsifié des résultats et vont jusqu’à nous interroger sur l’identité des personnes qui ont validé notre dossier. Est-ce parce que nous sommes des femmes, parce que nous sommes jeunes ou une combinaison des deux ? Toujours est-il que le sentiment de remise en question permanente est bien présent.
Que représente pour vous la propriété intellectuelle ?
Dans mon école d’ingénieurs, nous avons été un peu sensibilisés à la propriété intellectuelle (PI). À l’issue de notre cursus, nous connaissions par exemple les critères de brevetabilité d’une innovation.
Ce que j’ai découvert en développant le projet Cearitis, c’est toute la stratégie de défense inhérente au brevet. Un aspect crucial, qui sous-entend de bien connaître son innovation, de bien connaître, aussi, les innovations de ses concurrents. Et surtout de connaître ce dont le marché est capable. Si un concurrent possède un siège aux Philippines, que je n’ai pas protégé mon innovation dans ce pays : mon concurrent va-t-il pouvoir me voler mon innovation uniquement parce qu’il a une adresse aux Philippines ?
L’aspect stratégique de la PI est réellement passionnant. On l’apprend notamment grâce aux experts de l’INPI, dont j’apprécie l’accompagnement très personnalisé. Les rendez-vous fréquents avec notre chargée d’affaires me sont précieux. Je peux la solliciter pour des questions ou quand j’ai un besoin spécifique à l’instant T. Elle m’oriente toujours vers le dispositif le plus adapté à ma situation.
Au sein de votre entreprise, quels leviers actionnez-vous pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes ?
60 % de nos salarié(e)s sont des femmes, dont plus de la moitié occupe un poste de cadre. Nous proposons à nos collaboratrices et collaborateurs, des formations avec des coachs spécialisés dans la valorisation de talents. Cela afin de montrer que tout le monde en possède, que tout le monde est capable de les faire valoir.
En tant que dirigeantes, nous avons à cœur de véhiculer ces messages : nous ne sommes pas moins intelligentes que les hommes et nos réussites, nous les devons à la seule force de notre travail.
Vous avez été lauréate Be A Boss Sud 2022. Que pensez-vous de ce type d’initiatives pour valoriser l’entrepreneuriat féminin ?
Les concours féminins tels Be A Boss sont des dispositifs efficaces pour valoriser l’entreprenariat féminin.
Selon moi, les femmes devraient aussi pouvoir concourir là où concourent les hommes. Cela afin de montrer que pour le même niveau d’exigence et de savoir-faire, nous sommes aussi capables d’y arriver !
Quelle femme, célèbre ou non, vous a particulièrement inspirée ?
Ma professeure de marketing en 5e année, Mylène Louicellier, qui dirigeait également le cursus entrepreneuriat. Avec elle, il n’y avait aucune discussion sur la légitimité d’une femme. La crédibilité, on l’acquiert en tant qu’être humain, en tant qu’expert et pas en tant que genre. Elle m’a inspirée des valeurs fortes autour de la rigueur et de la quête du résultat. Je lui dois mon leitmotiv : « Si je veux atteindre tel objectif, voilà ce que je dois mettre en place ». Un grand merci à elle !
- Année de création : 2020
- Effectifs : 7
- Chiffre d’affaires : 50K€
- Marques : 4
- Brevets : 2
* Pénétration et fixation dans l'organisme d'un parasite microbien.
** L’ensemble des oiseaux, rongeurs, insectes, etc. qui détruisent les plantes cultivées, notamment en les consommant ou en leur transmettant diverses maladies.