Colorey : l'odyssée d'un brevet
Le couturier de la couleur
A côté des mastodontes du marché, habitués aux fournitures en gros, Pascal Chaillon définit son entreprise comme un « couturier de la couleur » : avec par exemple ses pigments qui retiennent la lumière ou qui se mélangent à de l'huile, Colorey se fait fort de trouver des solutions innovantes et sur-mesure pour ses clients. Un positionnement que travaille le dirigeant depuis qu'il a repris la société en 2005, à l'époque une TPE de cinq salariés spécialisée dans la fourniture de colorants industriels pour les secteurs du textile et du papier. Démarchage commercial, mise aux normes ISO, formulation et élaboration de produits... l'équipe de Colorey mène chantier après chantier lorsqu'entre en vigueur en 2008 une nouvelle législation européenne, REACH, qui encadre de manière beaucoup plus stricte la fabrication et l'utilisation de substances chimiques. Une menace pour la petite entreprise ? Au contraire : « Grâce à la culture technique de la couleur qui imprègne toute notre société, de la chimiste aux commerciaux, nous avons pu transformer cette contrainte en opportunité », note le dirigeant. Colorey s'attelle dès lors à faire redécouvrir à ses clients les vertus des colorants alimentaires de synthèse, moins agressifs sur le plan environnemental et très efficaces. Jusqu'à ce qu'en 2013, un client papetier soumette à Pascal Chaillon un problème inédit : « Il me dit qu'il ne sait pas fixer des colorants alimentaires avec des fixateurs naturels », raconte ce dernier. Le client est confronté à un dilemme : ne pas mettre de couleur ou bien utiliser des fixateurs issus de la chimie du pétrole et toxiques pour l'environnement et les hommes. Pascal Chaillon et la chimiste de l'entreprise se livrent alors dans leur laboratoire à des dizaines d'essais avec des produits différents. Pour lui, la base de l'innovation dans les TPE et PME est là, dans l'écoute des clients : « La R&D est faible ou inexistante et le service marketing est l'affaire de tous. Une petite entreprise qui innove ne doit pas se tromper de marché et donc proposer un produit qui réponde aux besoins des clients ».
L'eurêka
Test après test, c'est Pascal Chaillon qui découvre un jour un polysaccharide, c'est-à-dire une macromolécule de la famille des glucides complexes, qui semble répondre parfaitement aux exigences. « Ce polysaccharide était d'origine naturelle et avait de bonnes propriétés de fixation », explique-t-il. Le dirigeant se rapproche alors de l'Ecole de Chimie de l'Université de Lyon 1 pour exposer sa découverte. Les universitaires connaissaient les propriétés de ce matériau mais n'avaient pas imaginé une application possible dans le monde des colorants industriels. Tout cela semble prometteur... mais reste la question du coût du développement : « J'ai évalué l'ensemble du processus de R&D, la thèse pour la mise au point du produit et le dépôt du brevet à 200 000 euros », raconte-t-il.
Un montage financier mixte
Si l'entreprise peut déjà bénéficier d'un certain nombre d'aides non négligeables – crédit impôt recherche, prêt à l'innovation de l'ex BPI, subvention de la région Rhône-Alpes ou encore dispositif CIFRE (Convention industrielle de formation par la recherche) qui permet de financer en partie le poste d'un doctorant – cela reste insuffisant. De plus, la trésorerie de Colorey ne permet pas d'avancer les frais en attendant les subventions. Mais un jour, Pascal Chaillon entend parler à la radio d'une plateforme de financement participatif pour les PME. « Dans un contexte d'inertie des banques, où il fallait six mois pour monter un dossier, cette solution m'est apparue comme innovante et pertinente », se rémémore-t-il. A l'été 2014, il se lance dans l'aventure... et récolte la coquette somme de 120 000 euros auprès de 383 internautes ! Cette cagnotte lui permet alors de compléter ainsi son financement.
La nécessité du brevet
L'un des interlocuteurs de Pascal Chaillon, issu de la SATT PULSALYS Lyon-Saint Etienne, est un spécialiste chargé de commercialiser les brevets. « Dès la première réunion de travail, il m'a alerté sur la nécessité de déposer un brevet, en soulignant que c'était un réflexe à avoir en cas d'innovation de rupture », raconte le dirigeant. En janvier 2014, Pascal Chaillon fait donc la démarche de protéger une modification structurelle du biopolymère qui permet d'aboutir à la création du fixateur. En juin de la même année, il suit une Masterclass à l'INPI de sept jours, dont trois sont consacrés aux enjeux liés à la propriété industrielle et quatre à l'accompagnement d'un projet spécifique. « N'étant pas un expert de ces sujets, j'ai pu acquérir des connaissances fondamentales sur la propriété des marques avec des intervenants de l'INPI pour expliquer les règles de l'art et des industriels témoignant de leurs pratiques », souligne Pascal Chaillon. Durant l'accompagnement personnel qui a suivi, il a pu bénéficier de Booster PI, l'outil de diagnostic de l'INPI qui l'aide à analyser les forces et faiblesses du brevet envisagé. Le brevet du fixateur sera finalement déposé le 28 décembre 2015 par Colorey et l'Université de Lyon 1 qui en détiennent chacun une moitié.
Faire bouger les lignes
Les premiers échantillons ont été livrés au client papetier historique au printemps 2016 pour être testés. Un premier vrai succès pour l'entreprise, qui poursuit ses recherches sur les propriétés de son produit. Une variante du fixateur est en cours d'élaboration pour être utilisé aussi dans des environnements à ph neutre, où la demande industrielle est plus forte. De cette nouvelle étape dépendra l'ampleur des chantiers à mener par la suite. Si les équipes de Colorey parviennent à concevoir ce nouveau produit pour un coût compétitif, plusieurs nouveaux marchés s'ouvriront devant elles : « De nombreuses industries sont à la recherche de ce type de produit. Cette innovation peut vraiment faire bouger les lignes et bouleverser notre métier », conclut Pascal Chaillon.