Comment valoriser et déployer un procédé innovant
La success-story d'Europe Technologies trouve ses racines dans un laboratoire d'expertise de pièces métalliques rattaché à Airbus. Un jeune doctorant, Patrick Cheppe, met au point une méthodologie de contrôle basée sur l'analyse des contraintes résiduelles par diffraction de rayons X. Les contraintes résiduelles sont les tensions qui subsistent à l'intérieur des pièces alors que celles-ci ne subissent pas de pression extérieure. Elles jouent un rôle dans la durée de vie des produits et leur résistance générale. Nous sommes en 1993. On ne peut pas dire que la période soit très favorable à la création d'entreprise. Néanmoins, fort de l'appui d'Airbus, qui sera son premier partenaire et client, Patrick Cheppe fonde SONATS dont l'objet est de diagnostiquer l'état de santé des pièces métalliques. « Très vite, nous avons voulu aussi proposer des solutions aux problèmes rencontrés, ajoutant en quelque sorte le rôle de pharmacien à celui de médecin », raconte Vincent Desfontaine, qui a rapidement rejoint l'entreprise et en est aujourd'hui le directeur R&D.
Brevets de recherche et d'applications
Le « remède », en l'occurrence, est le grenaillage, une technique qui permet de renforcer la résistance des pièces à la fatigue et aux tensions. En version classique, on utilise un système d'air comprimé pour projeter des petites billes sur les surfaces concernées. Le fondateur de Sonats, lui, a l'idée de tester une projection par des ultrasons. Pendant trois ans, la petite équipe travaille sur le sujet. Des premiers brevets de recherche sont déposés dès 1993, puis à partir de 1996, c'est au tour des brevets sur l'application, la mise en oeuvre et les équipements. « Nous avons toujours eu ce réflexe de protection de nos innovations en utilisant l'arme des brevets ou des co-brevets avec nos clients », explique Vincent Desfontaine. Le portefeuille de la société compte aujourd'hui près de 70 titres.
La naissance du groupe
« L'innovation est vraiment notre ADN, nous sommes nés de travaux de recherche », poursuit-il. Depuis ses origines, l'entreprise consacre en moyenne 11 % de son budget à la R&D. Une stratégie payante puisqu'elle lui permet d'améliorer de manière continue le procédé initial, et donc de conserver son avance technologique. Ainsi en 1998, un deuxième procédé de grenaillage sort du cerveau fertile des chercheurs de SONATS : l'utilisation de petites aiguilles à la place des billes, toujours propulsées par ultrasons. Cette technique novatrice sert au redressage des pièces. Elle est utilisée pour finaliser la forme d'un composant ou d'une structure métallique. « Cette découverte a scellé les bases du groupe en orientant la croissance interne et externe autour de notre technologie initiale », commente Vincent Desfontaine. Pour fabriquer les machines dont elle a besoin, la société rachète en 1999 trois petites entreprises spécialisées dans la mécanique. Le groupe Europe Technologies est né. Quelques années plus tard, une troisième variation du procédé est mise au point, qui mixte les deux premières, et s'applique aux structures mécano-soudées.
Diversification et nouveaux champs d'étude
Mais la PME nantaise ne s'arrête pas là. Soucieuse de ne jamais se laisser dépasser par le marché, elle décide de s'intéresser aux matériaux composites. « Nos gros clients du secteur aéronautique nous avaient prévenus qu'il y avait là sans aucun doute un tournant important à prendre », explique Vincent Desfontaine. Pour rentrer dans ce marché qu'elle ne connaît pas, la société s'implique dans un projet de recherche baptisé UGV Aluminium Composites. Ce programme lancé en 2005 rassemble des grandes entreprises telles qu'Airbus ou Dassault, des laboratoires de recherche de la région et des PME. Il a pour objectif de trouver des solutions d'usinage à grande vitesse pour les matériaux composites. Europe Technologies se jette dans la bataille et créé une nouvelle filiale, Atlantic Ingénierie Composites, spécialisée dans le conseil et l'accompagnement pour l'industrialisation de pièces en matériaux composites. On retrouve là l'ADN « médecin-diagnostiqueur » du groupe. Celui-ci devient porteur d'un nouveau projet, UsinAE (usinage aéronautique économique) qui s'inscrit dans le dispositif des pôles de compétitivité. Presque un réflexe pour le groupe, qui s'est toujours positionné dans un écosystème résolument tourné vers l'innovation : grandes écoles et universités, centres de recherche industrielle tels que l'IRT Jules Verne, etc.
Des pièces métalliques... aux prothèses
Avec cette volonté tenace de renforcer constamment ses produits et services, Europe Technologies rachète dans le même temps une entreprise spécialisée en vision industrielle et en robotique. « L'objectif était de recourir encore davantage à la robotisation pour contrôler nos procédés en temps réel », souligne Vincent Desfontaine. Les fameux procédés sont ainsi toujours le moteur de toute avancée du groupe. Aujourd'hui, près de 23 ans après la création de la toute première société, une nouvelle version du procédé d'origine est mise au point, avec une application dans un champ encore peu exploité jusqu'alors par l'entreprise : le biomédical. « Nous avons réussi à adapter notre technologie pour déposer des agents bioactifs sur des surfaces particulières, ce qui nous permet d'envisager de revêtir des prothèses médicales d'agents diffusant progressivement des antibiotiques par exemple », explique Vincent Desfontaine. Se différencier en permanence, avoir toujours un temps d'avance est une stratégie qui a fait ses preuves. Europe Technologies est passée de 3 personnes à 330, et devrait ouvrir en 2017 de nouvelles antennes pour se renforcer à l'export.