La vache qui rit et pas une autre
Il était une fois une vache...
- 1919 : Léon Bel, affineur de fromage de Comté à Lons-le-Saunier dans le Jura, est de retour de la guerre. En association avec Emile Graf, il se lance dans la fabrication de fromage fondu. Un produit inventé quelques années auparavant en Suisse et encore méconnu. L'idée même d'une marque de fromage industriel est révolutionnaire à l'époque où le marché est artisanal ou fermier. Les portions individuelles sont aussi une innovation remarquée.
- 1921 : Après avoir mis au point sa recette et connu ses premier succès, Léon Bel dépose la marque La vache qui rit au nom si original.
- 1924 : Il fait appel à Benjamin Rabier pour en dessiner l'emblème. C'est la femme de Léon Bel, Anne-Marie, qui a l'idée de lui faire ajouter des boucles d'oreilles.
- 1926 : La vache qui rit connaît un grand succès qui ne sera jamais démenti.
- 1929 : L’entreprise ouvre un premier comptoir en Angleterre. D'autres pays suivront au fil des ans.
- 1942 : Léon Bel cède son poste de PDG à son gendre, Robert Fievet, qui pendant 50 ans va s'employer à faire de La vache qui rit une marque internationale.
- 2009 : Véritable trésor patrimonial, la marque possède maintenant un musée, "la Maison de La vache qui rit", à Lons-le-Saunier.
La vache qui rit prend son identité très au sérieux.
96 français sur 100 connaissent La vache qui rit. Ils sont probablement autant à être capables de citer au moins une de ses caractéristiques visuelles, à commencer par sa tête rouge. Mais rien ne doit être laissé au hasard et ce sont donc les trois éléments distinctifs de la marque qui sont protégés : son nom (la marque verbale), son visuel (la marque figurative de la tête de vache) et sa boîte ronde (la marque 3D).
Une protection qui existe évidemment au niveau international puisque le fromage en triangle est vendu presque partout dans le monde. Mais comme le précise Muriel Zevaco, directrice PI et Droit des Affaires Europe du groupe Bel, « la difficulté de protéger une marque qui veut dire quelque chose, c'est qu'il faut la traduire ». Aussi, un quatrième dépôt par pays s'ajoute aux trois précédents : la traduction locale de la dénomination – par exemple The laughing cow pour les anglophones.
Et lorsque La vache qui rit se refait une beauté, de nouveaux dépôts sont prévus. Du moins, à chaque changement significatif du logo ou du packaging. Sachant que tous les détails comptent pour défendre l'identité de la marque. Sur la boîte notamment, le service juridique comptabilise six éléments distinctifs propres et donc défendables en cas de contrefaçon : la structure en trois parties, la demi-lune bleue avec les étoiles blanches en haut, le nom, la tête de vache rouge (humanisée avec ses fameuses boucles d'oreille et son rire), le fond de prairie avec la rivière de lait, et enfin les bandes parallèles obliques bicolores sur les bords - « zébras » de leur petit nom.
Mais notre bovidé au tempérament joueur se permet parfois quelques originalités. C'est le cas de la boîte collector créée par l'artiste contemporain Hans-Peter Feldmann fin 2014. Une opération qui sera renouvelée avec d'autres artistes pour préparer les 100 ans de La vache qui rit en 2021. D'un point de vue juridique, il s'agit alors d'un partenariat avec une cession de droits d'auteur. Pour Muriel Zevaco, « la marque est suffisamment forte et bien installée pour ne pas risquer de perdre son identité juridique par ce « détournement artistique», et ce d’autant plus que l’opération est réalisée sur une courte période ».
Pas de pré carré pour La vache qui rit.
Comme le rappelle Alexandra Berreby, passée du service marketing au poste de directrice du licensing, on trouve tout au long de l'histoire de la marque familiale et ludique des excursions de La vache qui rit hors de sa boîte. On citera par exemple les buvards et protège-cahiers siglés qui étaient distribués aux enfants dans les années 50 ou l'album collector de Gaston Lagaffe en 1985. Mais au-delà de ces opérations marketing ou partenariats artistiques exceptionnels, la marque mène depuis quelques années une vraie politique de licencing. Elle a naturellement démarré dans le co-branding alimentaire avec des produits comme la soupe Knorr à La vache qui rit ou bien les pâtes Fleury Michon. Puis elle a exploré d'autres territoires comme les arts de la table (cf. le service Maison du Monde). Aujourd'hui, l'objectif affiché est de s'aventurer vers d'autres territoires détachés du fromage et même de l'alimentaire... Aucun secteur n'est a priori interdit, du moment qu'il colle aux valeurs familiales de la marque.
Si tout est possible, Alexandra Berreby rappelle les règles de base d'un licensing réussi : La vache qui rit, c'est-à-dire l'ayant-droit, a toujours le dernier mot sur le design, la catégorie de produit et la qualité des objets. Bien sûr, la marque doit être systématiquement reconnaissable et aucun risque d'affaiblissement n'est permis. Il ne s'agit pas pour autant d'apposer telle quelle la tête de vache rouge sur un produit mais d'une création respectant les codes identitaires, comme les fameux « zébras ». Enfin, ces opérations doivent être limitées dans le temps : un ou deux ans en général.
Parfois La vache qui rit se fâche.
Comme le résume efficacement Muriel Zevaco : « ça ne sert à rien de déposer une marque si vous ne la défendez pas ! ». Aussi, son service applique une politique stricte et systématique de lutte anti-contrefaçon. D'abord, une veille est réalisée par les équipes commerciales sur le terrain qui font remonter l'information. Puis les réseaux locaux d'avocats, en lien avec la direction juridique, organisent très vite les actions : des raids menés par la Police et des poursuites pénales.
Notons que La vache qui rit est peu sujette à des copies serviles. Ce n'est même arrivé qu'une fois en quasiment un siècle. En revanche, elle est confrontée à des « look alike », soit des contrefaçons par ressemblance. Plusieurs cas sont traités chaque année, surtout à l’étranger. Or, comme l'explique Muriel Zevaco « selon les juridictions locales devant lesquelles nous agissons, il est plus ou moins facile de faire reconnaître l'imitation comme une contrefaçon, mais la stratégie du zéro tolérance est systématique ».
En France, en revanche, on reconnaît même la réplique par contraste depuis un arrêt de la cour de cassation de 1966. Et c'est à l'opposition entre La vache qui rit et La vache sérieuse qu'on le doit ! L'histoire remonte à 1926 lorsque les frères Grosjean lancent à Lons-le-Saunier leur fromage. Il est présenté comme « le fromage qu'on trouve dans les maisons sérieuses ». Bel réplique avec une publicité qui affirme que « le rire est le propre de l'homme... et de La vache qui rit ». La lutte fera rage pendant des années avant d'être définitivement tranchée par la justice qui interdit aux frères Grosjean l'utilisation de La vache sérieuse. Un cas étudié depuis sur les bancs des facs par tous les étudiants en droit des marques.
- Présente dans 137 pays sur 5 continents.
- 12 milliards de portions vendues dans le monde chaque année.
- 4ème marque mondiale sur le marché des fromages.
- 263 millions de consommateurs.
- Taux de notoriété : 96% en France, 90% au Royaume-Uni, 91% en Allemagne, 90% en Espagne et 86% aux Etats-Unis.
Pour comprendre le nom du fameux fromage fondu, il faut remonter à la Première guerre mondiale. Léon Bel est alors affecté au RVF : ravitaillement en viande fraîche. Pour souder leurs membres, l'état-major décide de doter certaines unités d'un emblème spécifique. Pour celle de Léon Bel, un concours est même lancé, auquel participe le dessinateur animalier Benjamin Rabier. Sa vache hilare est retenue et apposée sur les camions. Les militaires la surnommeront « Wachyrie » : un pied de nez fait aux Walkyries, figures de la mythologie germanique et emblèmes des soldats ennemis. C'est cette Wachyrie qui inspirera Léon Bel lors de son retour dans sa fromagerie.