Le droit des producteurs de bases de données à l’heure du Big Data
Dans notre série sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique, c’est au tour de Nicolas Courtier — avocat au Barreau de Marseille, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et droit des nouvelles technologies, de l’informatique et de la communication — de nous éclairer sur le droit des producteurs de bases de données. Presque vingt ans après sa formalisation, ce droit lui apparaît en décalage avec les nouveaux usages liés au développement du Big Data. Il prône donc une évolution radicale.
> Pourquoi estimez-vous que le droit des producteurs de base de données n'est plus adapté et doit évoluer ?
Nicolas Courtier : Je ne peux que constater l’existence d’un décalage entre la réalité des textes de propriété intellectuelle sur le sujet et leur mise en œuvre. La loi du 1er juillet 1998 souligne que le producteur d’une base de données « bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification, ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ». Les données doivent être collectées par une personne identifiée. C’est une vision statique des traitements de données : on se concentre sur la création de la base de données et non sur son utilisation. Cela correspondait à un besoin de développement du commerce électronique et à un certain niveau de technologie. Nous n’en sommes plus là aujourd’hui à l’heure du Big Data.
> En quoi l'apparition du Big Data a-t-elle changé la donne ?
N. C. : D’abord, avec le Big Data, il n’y a pas besoin de passer par l’étape de la constitution d’une base de données pour proposer des analyses. Le savoir-faire réside dans l’identification, la sélection, le traitement de volumes de données considérables. Il devient donc difficile de se réclamer du droit des producteurs de données pour les entreprises concernées, car elles ont du mal à établir l’existence de cette étape préalable. De plus, cette « curation » pose problème car elle peut passer par l’extraction et la réutilisation d’informations issues de bases de données, ce qui est interdit par le Code de propriété intellectuelle. Résultat : des entreprises préfèrent se localiser hors de l’UE pour éviter ce risque juridique. Même si la plupart du temps, il est impossible de relier les résultats des traitements et analyses à une ou plusieurs bases constituées... Nous sommes vraiment dans des zones grises du droit : quand les contentieux existent, ils durent des années.
> Quelles sont les pistes pour sortir de cette impasse ?
N. C. : Une décision de l’Autorité de la concurrence du 8 juillet 2014 a marqué un tournant important. Selon elle, une entreprise qui refuse la vente de sa base de données à ses concurrents à un prix raisonnable bloque l’accès au marché et peut donc être condamnée à verser des amendes. Cette décision fait suite à plusieurs jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne qui font également primer l’intérêt économique sur une vision stricte du droit à la propriété. En ce sens, on retrouve des principes similaires au droit des marques : on pourrait permettre des activités de traitement et d’analyse de données à partir des mêmes bases à condition qu’elles ne visent pas des services identiques. Ainsi, on reste protégé d’une concurrence directe, tout en autorisant une créativité féconde dans l’utilisation de données. Très concrètement, nous pourrions également faire évoluer le Code de la propriété intellectuelle en reformulant des articles consacrés au droit des producteurs de bases de données pour y inclure non seulement la constitution d’une base de données, mais aussi et surtout son utilisation.
Nicolas Courtier : Je ne peux que constater l’existence d’un décalage entre la réalité des textes de propriété intellectuelle sur le sujet et leur mise en œuvre. La loi du 1er juillet 1998 souligne que le producteur d’une base de données « bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification, ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ». Les données doivent être collectées par une personne identifiée. C’est une vision statique des traitements de données : on se concentre sur la création de la base de données et non sur son utilisation. Cela correspondait à un besoin de développement du commerce électronique et à un certain niveau de technologie. Nous n’en sommes plus là aujourd’hui à l’heure du Big Data.
> En quoi l'apparition du Big Data a-t-elle changé la donne ?
N. C. : D’abord, avec le Big Data, il n’y a pas besoin de passer par l’étape de la constitution d’une base de données pour proposer des analyses. Le savoir-faire réside dans l’identification, la sélection, le traitement de volumes de données considérables. Il devient donc difficile de se réclamer du droit des producteurs de données pour les entreprises concernées, car elles ont du mal à établir l’existence de cette étape préalable. De plus, cette « curation » pose problème car elle peut passer par l’extraction et la réutilisation d’informations issues de bases de données, ce qui est interdit par le Code de propriété intellectuelle. Résultat : des entreprises préfèrent se localiser hors de l’UE pour éviter ce risque juridique. Même si la plupart du temps, il est impossible de relier les résultats des traitements et analyses à une ou plusieurs bases constituées... Nous sommes vraiment dans des zones grises du droit : quand les contentieux existent, ils durent des années.
> Quelles sont les pistes pour sortir de cette impasse ?
N. C. : Une décision de l’Autorité de la concurrence du 8 juillet 2014 a marqué un tournant important. Selon elle, une entreprise qui refuse la vente de sa base de données à ses concurrents à un prix raisonnable bloque l’accès au marché et peut donc être condamnée à verser des amendes. Cette décision fait suite à plusieurs jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne qui font également primer l’intérêt économique sur une vision stricte du droit à la propriété. En ce sens, on retrouve des principes similaires au droit des marques : on pourrait permettre des activités de traitement et d’analyse de données à partir des mêmes bases à condition qu’elles ne visent pas des services identiques. Ainsi, on reste protégé d’une concurrence directe, tout en autorisant une créativité féconde dans l’utilisation de données. Très concrètement, nous pourrions également faire évoluer le Code de la propriété intellectuelle en reformulant des articles consacrés au droit des producteurs de bases de données pour y inclure non seulement la constitution d’une base de données, mais aussi et surtout son utilisation.
Base de données : définition et protection
Une base de données est définie par le Code de la propriété intellectuelle comme un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen. Elle est protégée par le droit d’auteur et le droit des producteurs de base de données.
Celui-ci, formalisé au milieu des années 90 suite au développement du commerce électronique et des premières technologies de traitement des données, est issu de la directive communautaire du 11 mars 1996 et transposé dans le droit de la propriété intellectuelle français par la loi du 1er juillet 1998.